Jésus avait pourtant des disciples femmes…

Assumpta est, Virgo Maria…, chante la liturgie de l’église latine en l’honneur de la vierge Marie élevée au ciel. Dans toute la rigueur de sa définition par Pie XII (en 1950), ce dogme de foi précise bien: « élévation miraculeuse et présence corporelle au ciel ». (« Ciel » écrit avec une majuscule permettrait au moins une certaine symbolisation.)


Et voilà, paradoxe ! Toute une page des Dernières Nouvelles d’Alsace du 14 août 2020, signée Justine Benoît, que le quotidien d’Alsace, se voulant pourtant laïque, et, à l’origine, essentiellement d’inspiration protestante, a consacré, dès la veille de l’Assomption, à un problème religieux de taille: « Pourquoi l’Eglise peine à se réformer ? »
…Cet intérêt de plus en plus vif pour des questions d’ordre théologique-ecclesial serait-il une conséquence de la pandémie qui frappe l’humanité ?
Ou faut-il y voir surtout un souhait, légitime, de femmes cherchant à être elles-aussi admises dans l’ordre sacré des prêtres, celui qui donne du pouvoir spirituel, et dans lequel ces épouses et mères auraient certes « beaucoup de choses à dire » aux croyants restés de simples fidèles ?
Oui, bien des choses seraient à relever dans ce bel ensemble de questions et de réponses, y compris dans la partie réservée à Marie-Jo Thiel, professeure d’éthique et de théologie morale à l’université de Strasbourg. Ce qui surprend le plus de la part de ces femmes encore assez jeunes – l’âge idéal pour être promues évêques ? – c’est qu’aucune d’elles ne semble regretter que la Vierge Marie ait depuis toujours été frustrée de ses droits d’auteure par messieurs les prédicateurs, notamment concernant le Magnificat (« Mon âme exalte le Seigneur… ») – mais pas uniquement, aussi à mon avis tout le récit des enfances, celui de Jésus le Nazôréen et celui de Jean son cousin, le futur Baptiste mais avant tout précurseur du Christ eschatologique; oui, même le troisième évangile dans sa totalité, toujours attribué à un certain Saint Luc, alors que le médecin de Paul n’a écrit, d’après le style respectif de l’une et l’autre oeuvre, ‘que’ des Actes d’Apôtres, et encore peut-être pas en entier.


N’oublions pas ce que dit madame Thiel, que « l’Eglise (romaine) a mis plus de deux siècles à se structurer ». Comprenant que la Parousie ne viendrait que dans un avenir encore lointain, parce que le Royaume de Dieu, il fallait bien tenter de le construire pas à pas. Donc, la dite auto-structuration n’a pas pu se passer de toute espèce d’adaptations du Texte sacré, de traductions passant du grec au latin, non parfois sans de graves déviances du sens ! La Réforme, puis la Contre-réforme n’ont fait qu’accentuer, d’ailleurs d’un commun accord sans doute tacite, ce recours à la contre-véridicité.
A la suite du Concile Vatican II, les deux papes qui se sont succédé, Paul VI et Jean-Paul II, ont dû se résigner: ils ne pouvaient qu’espérer « l’ordination des femmes » en signe d’un rapprochement œcuménique, mais la réalisation du « plan de Dieu » devait primer, caractérisé par une intervention divine, à savoir l’envoi préalable du fils de l’homme de la Fin des Temps. Cet ultime Elie (objection des scribes, relayée par les trois grands disciples, Pierre, Jacques et Jean ayant assisté à la transfiguration de leur Maître ), il devait venir d’abord, Mt 17-11; Mc 9,11-13, de façon que l’Ecriture Sainte, la Tora, soit clôturée selon les règles, cf. Mt 3,23-24, et désigné ipso facto le Christ-Messie, « ressuscitant » en ce début du 3ème millénaire de l’ère Chrétienne.
Pour la réconciliation entre humains de bonne volonté, adorateurs du seul Dieu, Juifs, Catholiques, Protestants, Orthodoxes, vrais musulmans… Et pour le sauvetage de la Terre…

François-Xavier SCHLIENGER, Lingolsheim.

LETTRE OUVERTE au Pape François

Au sujet de la PASSION de « Jésus le Nazôréen »
Par le Fils de l’homme de la Fin des Temps,
lui qui, par ce Livre, se déclare dorénavant ouvertement
LE NOUVEAU PRÉCURSEUR DU CHRIST VIVANT


François-Xavier SCHLIENGER

Première  PARTIE : Préparations

Avertissement aux Lecteurs

Principale innovation dans le domaine de l’exégèse, que je justifie par mon désir de marquer un respect profond à l’égard du Texte biblique, qu’il s’agisse de l’Ancien ou du Nouveau Testament : toute citation dudit Texte biblique que je serai amené à faire dans le corps de cette LETTRE OUVERTE sera formulée en caractères italiques. Il en résultera une situation de ‘monopole’ par laquelle je m’interdis d’utiliser dans mon propre texte tout autre recours à ces mêmes caractères italiques ; d’où, à la place, le recours assez fréquent aux guillemets atténuateurs (‘…’) ou en apostrophe (‘‘…’’). Quant aux citations que je ferai assez souvent du livre de Joseph Ratzinger-Benoît XVI, « Jésus de Nazareth » publié en trois tomes, respectivement en 2006 (en allemand, chez HERDER, puis l’année d’après, en français chez Flammarion), en 2010 (toujours en allemand d’abord, chez le même éditeur HERDER, et 2011 aux Editions du Rocher, pour le tome II), enfin en 2012, pour le tome III (ce dernier, consacré aux récits de l’Enfance de Jésus, ne sera mentionné qu’en passant dans ma Lettre), je les mettrai toujours entre les guillemets habituels, comme je viens de le faire supra pour le titre général de son livre ; donc : « … ». Il en ira de même pour d’autres citations d’écrivains non bibliques, sauf si celles-ci proviennent de J.R.-B.XVI et doivent donc être distinguées : ce sera fait alors avec les guillemets en apostrophe : ‘‘…’’.  

  En ce qui concerne les abréviations des noms propres d’auteurs et de leurs œuvres, il existe d’une part les officielles, ou d’emploi courant, s’agissant des auteurs bibliques(seuls figureront ici les noms que je cite expressément dans mon texte et non leurs listes complètes), et, d’autre part, celles que je me suis forgées à titre personnel pour ce qui est des traductions de ‘Bibles’ (ou/et des noms de leurs traducteurs) : il s’agit de celles employées couramment en exégèse historico-critique, mais sans distinction entre celles de l’Ancien Testament (A.T.) et celles du Nouveau Testament (N.T.) : toutes, elles doivent avoir pour moi valeur de ‘Parole de Dieu’. Je noterai les principales d’entre elles à partir de leur  première apparition dans le texte proprement dit de cette Lettre Ouverte.

L’ouvrage de base qui m’a été d’une aide précieuse, le Dictionnaire du Nouveau Testament de XAVIER LEON-DUFOUR (Seuil, 1996, Nouvelle édition revue et augmentée), est malheureusement encore bien incomplet ; je l’abrège ainsi : X. L.-D., suivi du titre de l’entrée (en gras, comme ici). Je renvoie aussi d’emblée – et doublement à titre d’exemple ! – à la page 3, intitulée : « En guise de Prolégomènes : pour une sortie de la crise eschatologique… » Le Lecteur est expressément invité à s’en imprégner pour saisir avec plus de facilité (grâce aussi aux notes d’explications) la pensée logique qui m’a guidé à travers l’ensemble du présent texte. 

Abréviations des cinq Traductions et Noms des Traducteurs souvent consultés, ainsi que leurs notes.

 (Dans l’ordre chronologique de leurs parutions respectives.)

« La Sainte Bible » : « par A. Crampon » (1ère moitié du 20e siècle) (Crampon)

« La Sainte Bible » : « traduite en français sous la direction de l’Ecole Biblique de Jérusalem », Paris, 1961 ; IMPRIMATUR, 1955. (Titre abrégé : BiJér)

« Le Nouveau Testament » :  E. Osty – J. Trinquet (dernier tiers du 20e siècle) (Osty)

« Un Pacte neuf (…)  traduit et présenté par André Chouraqui  – Brepols) – 1984) (A. Ch.)

« Le Nouveau Testament » : « Traduction œcuménique de la Bible »  (1986) (TOB)  

***

« Jésus de Nazareth » de Joseph Ratzinger-Benoît XVI = J.R.-B.XVI : L’œuvre majeure qui m’a accompagné depuis sa parution (en trois étapes).

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Exceptionnellement :

 Die Bibel oder die Heilige Schrift des Alten und Neuen Testaments

nach der Übersetzung Martin Luthers. Revidierter Text 1975.

Deutsche Bibelgesellschaft 

***

Abréviations des Livres Bibliques

Les quatre évangiles canoniques, dans l’ordre consacré :

Mt (= Selon Matthieu) ; Mc (= Selon Marc) ; Lc (= Selon Luc) ; Jn (= Selon Jean)

Autres renvois à quelques Livres du Nouveau Testament : Actes des Apôtres (Ac) ; Epîtres / Lettres : de Paul Apôtre : Aux Romains (Rm) ; Aux Corinthiens (1 Co) ; Aux Ephésiens (Ep) ; et Epître de Jacques (Jc) ; et celles de Pierre (P). 

Les références à l’Ancien Testament (A.T.) utilisées dans cette ‘Lettre Ouverte…’ : Livres du Pentateuque : Genèse (Gn), Exode (Ex), Nombres (Nb), Deutéronome (Dt) ;  Josué (Jos) ;les Prophètes : Osée (Os), Isaïe(Is), Zacharie (Za), Daniel (Dn) ; et l’un des Psaumes… (Ps)   

En guise de PROLEGOMENES : SORTIE de la crise eschatologique 1.

Premier MESSAGE  que le Fils de l’homme adresse ici à l’Eglise de France et à toutes les Eglises chrétiennes de France et d’Europe, ainsi qu’à tous les hommes et à toutes les femmes de bonne volonté du monde entier – ‘évangélistes’ y compris :

 « Quiconque prétend parler de Jésus de Nazareth, dans un livre (ou ‘en ligne’), devrait commencer par cette simple constatation : Jésus de Nazareth n’aurait jamais pu se faire connaître, de son vivant, dans son pays la Palestine, ni y prendre la Parole, ni y être écouté et entendu au nom de son Dieu, sans le témoignage préalable, en sa faveur, de Jean le Précurseur 2 – le Baptiste -, fils de Zacharie et d’Elisabeth. »

[ Dans la perspective historique où il faut se placer en priorité, je conseille de lire les textes évangéliques concernés par ce thème de l’importance primordiale de Jean-Baptiste, dans l’ordre suivant :

– Evangile selon Luc : Lc 3,1-6 . 15-18 ;

– Evangile selon Marc : Mc 1,4-8 ;

– Evangile selon Matthieu : (Mt 3,1-6) ; Mt 3,13-15 ;

– Evangile selon Jean : (Jn 1,19-28 ; et 1,29-34.) 3 ]

 Moi, François-Xavier Schlienger, né le 26.03.1934, Bas-Rhin, France, enseignant retraité de l’Education Nationale dans la filière dénommée jadis ‘Lettres pures’ (français, latin, grec, allemand), je m’engage ici :

– à renouveler sur le Net ce même message, jusqu’à ce que des signes m’aient  prouvé qu’il a été reçu par un certain nombre de personnes de bonne volonté qui voudront bien me le faire savoir d’une façon ou d’une autre ; 

– à poursuivre ce premier MESSAGE ayant valeur de démonstration logique, par d’autres qui viseront pareillement à retrouver ‘‘toute la vérité’’ évangélique (cf. Jn 16,13) concernant la même thématique : la figure vraie de Jésus de Nazareth 4 ;

  Oui, soyons ceux qui mettent toute leur attente et vraie foi en la venue du Christ-Messie, notre pleine confiance en ce Seigneur qui a promis qu’il reviendrait parmi les humains à la Fin des Temps.

 (Les Notes sont à consulter aux page suivantes : 5-6.)

Quelques notes pour éclairer ce qui vient d’être dit

  1. Il faut comprendre que pour moi les deux millénaires écoulés depuis la mort en croix de Jésus-Christ ont constitué l’ère eschatologique, c’est-à-dire l’ère de la Fin des Temps annoncée dès le Premier Livre biblique,  la Genèse (cf. Gn 49,1-12 ; 50,24), et mise réellement en marche par Jésus-Christ. (Cette assertion fondamentale sera explicitée par la suite.)  
  2. C’est la première et primordiale mission de Jean, celle de préparateur du ‘Chemin’ de Jésus, de son cheminement, de son entrée en fonction d’abord, cf. Mt 3,1-3 ; Mc 1,2-3 ; Lc 3,1-2. Le baptême de conversion en signe de repentir du Peuple n’est donc que la conséquence de cette première mission impartie à Jean, car il devait lui-même d’abord se rendre connu comme prophète du Très-Haut pour être en mesure de PARLER au Peuple et de désigner ensuite – d’introniser en somme – celui qu’il déclare d’emblée plus fort que lui-même, étant en principe et/ou de nature, donc de par sa dignité profonde, Fils de Dieu. Jusque-là, seuls les évangiles de l’Enfance de Jésus ont laissé entendre cette suprême grandeur, cf. Mt 1,20-23 ; 2,6.9-10 ; 3,2-3.11-12 ; et Lc 1,26-35.43.46-55. Mais le 4ème   évangile souligne aussi, à sa manière, la transcendance du successeur de Jean ; cf. notamment Jn 1,29b-34…
  3. Est visible l’insistance sur le titre complet de chacun des quatre évangiles : Selon Luc, Selon Marc, etc. ; elle traduit fidèlement la formule grecque Kata Loukan , Kata Markon, etc. ; elle se retrouve dans le latin de la Vulgate : Secundum Lucam, Secundum Marcum, etc. C’est à l’époque moderne que l’exégèse ‘historico-critique’ a estimé pouvoir la remplacer par la traduction n’exprimant guère que l’appartenance : ‘De Luc’, ‘De Marc’, etc. Au point que même  ‘Le Petit ROBERT’ (Edition1987) cite à titre d’exemple (entrée : ‘selon’) : « Evangile selon saint Jean : évangile de saint Jean. » Aujourd’hui, la qualification de la sainteté du présumé disciple ‘Jean’ n’est même plus mentionnée, il est traité comme un quelconque auteur-de… De fait, la préposition ‘selon’ suggère avant tout l’idée d’un cheminement le long d’un chemin, donc fondamentalement le thème d’une stratégie, d’une fin fixée d’avance, à atteindre à travers une durée plus ou moins brève ou longue dans le temps. On saisit alors que les quatre évangiles ont un lien entre eux, d’autant qu’ils apparaissent dans un certain ordre dans le Texte sacré (Mt en tête, Jn en conclusion, Mc et Lc au milieu et en médiation), alors que la préposition ‘de’ isole chacun des quatre auteurs présumés, les rend indépendants, en principe inconnus l’UN de chacun des trois autres. Dans le premier cas, nous pouvons imaginer une fusée à quatre étages qui se détachent l’un après l’autre (toujours après le même laps de temps) afin d’atteindre une distance de plus en plus lointaine, ou / et d’exercer un ascendant toujours plus en profondeur sur la surface du globe terrestre : leurs auteurs travaillent donc de concert, poursuivent le même but, bien sûr à bon escient, et doivent par conséquent être ramenés au nombre de deux, pour mieux former l’unité parfaite requise d’un seul Auteur, complété d’une auteure…   
  • La vérité du Fils de l’homme cherchant à se faire entendre, à l’instant où il va pour la première fois se livrer au public, monter sur l’estrade du monde, sa vérité intime n’est-elle pas qu’au tout début de sa carrière il hésite à se mettre en valeur en tant que grand mystique charismatique, comme quelqu’un qui, soudain, serait pris de doutes ? N’est-ce pas cela aussi que signifierait son refus à peine poli opposé à la demande implicite de sa mère quand, à Cana, le vin vint à manquer (d’après Jn 2,3) : « Quoi à moi et à toi, femme ? » lui aurait-il alors rétorqué. Quelque chose comme : Que me veux-tu, femme ? C’est en tout cas cela, ce tremblement intérieur, que suggère, assez clairement me semble-t-il, la rencontre du ‘Centurion de Capharnaüm’ et de Jésus – lui qui avait toujours fui jusque-là tout contact avec la foule, ne vivant que dans son monde intérieur, en prière studieuse avec son Père du Ciel dirons-nous, et n’étant encore, aux yeux des gens des environs, que ‘de Nazareth’ ou ‘Le Nazôréen’...

Oui, commençons par voir en esprit cette rencontre d’un militaire proche de la retraite et celle d’un jeune intellectuel.

Sûrement un personnage, ce sous-officier romain, que tout le monde respecte dans la population des pêcheurs de cette portion du Lac. Pourtant Jésus vient d’oser un coup d’éclat. Après seulement quelques jours d’activité, de prédication et de soins prodigués (cf. Mt,4,23-25),  entouré de ses quatre premiers disciples qui certainement ont commencé à lui prêter main forte, le voilà déjà en  mesure de réunir de grandes foules pour leur parler. Mais pas n’importe où. Il est écrit, Mt 5,1 : Voyant les foules, il monta dans la montagne. Ce qui veut dire dans l’arrière-pays montagneux, plutôt qu’une haute montagne particulière ; donc des pâtures, sans doute légèrement en pente, où des masses humaines pouvaient s’installer pour y écouter l’orateur juché comme sur une chaire naturelle. L’essentiel pour l’organisateur c’est que l’acte répréhensible, car il l’était à coup sûr, passât le plus inaperçu possible, une fois extrait ainsi des flux de la civilisation. Il est intéressant de noter, avec X. L.-D., Capharnaüm : « Poste frontière aux confins des Etats des tétrarques Hérode et Philippe » et [surtout] « siège d’une garnison romaine ». D’où, bien sûr, Jésus était tenu de se soustraire momentanément, pour ne pas avoir l’air d’afficher trop ostensiblement son ambition de provoquer les pouvoirs en place. En ce début de sa mission, il lui fallait absolument éviter toute réaction brutale de la part des forces de police, de la seule qui fût en mesure d’imposer sa loi en faisant couler le sang. Ce souci, que Jésus a souligné clairement  dans sa ‘Prière sacerdotale’, cf. Jn 17,12.15, faisait, à coup sûr, partie de

L’ADN d’un mouvement messianique révolutionnaire d’inspiration spirituelle comme le sien, mais ici, il avait, avant tout, une visée stratégique, qui était que rien ne vînt casser, interrompre de façon prématurée toute l’entreprise. Car celle-ci était axée sur sa finalité : la Fin des Temps, dont tout dépendrait. Or en tenant presque d’entrée son ‘Discours programmatique’, où il avait enseigné les foules comme ayant autorité, et non point comme leurs scribes (Mt 7,29), ce sont toutes les autorités traditionnelles qu’il avait défiées en un seul bloc.

Quant à notre Centurion, admettons que son histoire de guérison n’a rien à voir avec les nombreux récits de guérisons miraculeuses qu’on lit ensuite dans les Evangiles synoptiques. Situé au début de la carrière de Jésus, il donne une indication de la façon dont s’est faite l’entrée en contact avec la misère humaine. Celle du garçon ou serviteur du centurion, d’après Mt 8,6, – le texte parallèle, Lc 7,2ss, évoque un esclave -, l’accent étant cependant toujours mis sur la gravité du mal, l’urgence de sa souffrance, mais le croyant naïf qui n’entend ou ne lit que les traductions officielles restera médusé devant un texte semblant même hésiter entre diverses des intentions, en particulier celle du simple soldat qui voudrait avoir rang de légat [« général de légion délégué par l’empereur avec sa pleine autorité », [X. L.-D., légat], pour se sentir à peu près digne de recevoir dans sa maison celui en qui il a deviné la présence d’un dieu. Non de n’importe quelle divinité qui serait encore plus ou moins timorée et à qui il faudrait insuffler l’audace de s’affirmer comme étant ce vrai Fils du Dieu dont lui ont parlé avec foi ses amis galiléens, évoquant le fils de Dieu qui aurait toutes les capacités, toutes les puissances de l’Unique Créateur. En effet, le récit selon Luc explique que ce simple centenier avait des accointances parmi les Anciens des juifs de Capharnaüm, au point que certains d’entre eux ont accepté d’aller, à sa demande, auprès de Jésus plaider sa cause, – la cause de l’enfant-esclave qui souffre – … : « Il est digne que tu lui accordes cela !

Oui, il aime notre nation, et c’est lui qui nous a bâti la synagogue. »

A partir de là, les deux versions confluent de nouveau. La phrase-clé réapparaît où l’esclave redevient un enfant ou un serviteur comme en Mt, avec chaque fois le même verbe iômai, le seul qui signifie vraiment guérir ! Au passif : être guéri ; en I, au futur : « Mais dis seulement d’une Parole – la parole créatrice souveraine ! – et mon enfant/mon serviteur sera guéri » ; en III, à l’impératif : « Mais dis seulement d’une Parole, et que mon enfant / mon serviteur soit guéri ! » Dans les deux cas, il s’agit d’un ordre que Jésus est invité  par le sous-off à intimer à la  maladie – considérée comme une incarnation du démon qu’il s’agit d’expulser, de façon que le miracle de la guérison se produise.

Néanmoins il y a quelque chose qui ne va pas ; quelque chose, au final, cloche… En tout cas, dans les traductions officielles du texte selon Mt.  En  

III, ledit verbe signifiant ‘guérir’ ne figure qu’une seule fois (Lc 7,7) ; en I, il apparaît jusqu’à trois fois 8,7.8.13 ! Evidente anomalie ! Alors que Lc 7,3, au début de sa version, a placé dans la bouche des Anciens un verbe signifiant quelque chose comme ‘sauver in extremis’ : dia-swzw, puis, à la dernière ligne, au v.11, il aura recours à la formule : ils trouvèrent l’esclave en bonne santé, ugiainw. En Mt, triple apparition ! Deux à bon escient, mais une sur les trois, tout au début, totalement à contre-sens, réalisant par rapport à la suite immédiate un vrai non-sens, et finalement ni plus ni moins qu’une contre-vérité ! Une espèce de gros mensonge institutionnel. (Du même acabit que le surnom de ‘traître’ quand celui-ci va être accolé systématiquement au nom du 12e Apôtre. Ce  sera chose faite à partir de la Réforme ; on y reviendra.)

  A présent, le mieux est de citer ce début de récit du miracle qu’il importe de corriger pour sa transparence, car ce qui s’y trouve rapporté dans nos ‘versions officielles’, agréées par les diverses Eglises, catholique romaine comme protestante luthérienne, et autres…, contredit carrément la logique du texte. Le centurion a tout juste suggéré sa supplication, en disant :

 « Seigneur, mon enfant / mon serviteur est couché à la maison, paralysé, souffrant terriblement », qu’il a obtenu de Jésus la réponse : « Moi j’irai le soigner » – et non : ‘le guérir’, comme tous les traducteurs sans exception le lui ‘font dire’, en vrais romanciers anticipés du XXIe siècle. On comprend alors le sens de la longue réplique que voici, vv.8-9 : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis seulement d’une Parole, et mon garçon sera guéri ! Aussi bien moi, simple particulier soumis à une autorité, j’ai sous moi des soldats, et je dis à l’un : ‘Va’, et il va ; et à un autre : ‘Viens’, et il vient ; et à mon esclave : ‘Fais ceci’, et il le fait. »  

Petit sifflement admiratif de la part du Fils de l’homme, impressionné par ce qu’il vient d’entendre et qui va lui inspirer un terrible avertissement à l’adresse de ses coreligionnaires (cf. vv.10-12). Mais d’abord Jésus s’est aperçu que cet homme d’action lui a délivré, mine de rien, une vraie leçon de choses – notamment l’élévation de la voix pour obtenir l’obéissance, la discipline, force principale des armées, il le sait, mais elle ne l’emballe pas. Ou, après le coup du Discours sur la Montagne, serait-il soudain effrayé de sa propre audace ? Non, mais peut-être hésitait-il à la perspective d’entrer dans la carrière de guérisseur thaumaturge, tel qu’il s’en était présenté dans l’histoire du Peuple ? Lui-même, n’avait-il pas en tête un seul prodige  venant du Ciel, celui de son offrande auto-sacrificielle à réaliser sur une croix et qui serait suivie de sa Résurrection le Troisième Jour, pour la Gloire du Dieu son Père ? (Cf. Jn 2,19). Ou encore, plus immédiatement, à l’instant de se lancer, ne se voyait-il pas, d’emblée, et de préférence, en médecin de l’âme ? Cf. Mc 2,17 ; Lc 5,31 ; Mt 9,12 : or il se heurte, d’entrée, à l’objection implicite du règne de Satan, le semeur qui sème de par le monde entier le mal et la maladie parmi les humains, paraissant ainsi être le seul véritable maître du monde.  

Cette signification d’éblouissante clarté, des hommes d’Eglise ont voulu la dissimuler et ils ont failli réussir à l’éradiquer pour des siècles et des siècles, en imposant le remplacement systématique du verbe soigner qerapeuw  (pourtant le plus fréquent des deux dans le Texte : plus de 40 récurrences) par le verbe ‘guérir’, celui-ci, iaomai >iwmai, un peu moins fréquent dans le Texte grec ; mais parfois avec d’autres appelés en renfort, tels sôzô, « sauver », approuvé par Jésus lui-même, cf. Mt 9,21.22 ; Mc 10,52 ; Lc 17,19, toujours dans le contexte de la foi, seule source secrète de la guérison de l’âme…

  Tant de choses devaient s’entrechoquer dans sa tête, en ces débuts… 

Déjà il s’était méfié, juste avant, donc à sa descente de la montagne.  Après avoir purifié comme en passant un lépreux qui avait eu la bonne idée de l’implorer en ces termes : « Seigneur, si tu veux, tu peux me purifier ! » : ainsi imploré, pouvait-il répondre par la négative ? Une fois la purification opérée – mais c’était peut-être encore un piège de la part du quémandeur ? –  Jésus lui dit : « Garde-toi d’en dire un mot à personne ! Mais va-t’en, montre-toi au prêtre et présente l’offrande qu’a prescrite Moïse, pour un témoignage en leur faveur. » Jésus n’ignorait pas la tendance naturelle de toute caste à vouloir préserver ses privilèges, son monopole d’une vérité partielle, bientôt édifiée en dogmes à ne pas transgresser, sous prétexte qu’il ne fallait surtout pas ‘scandaliser’ les ouailles toujours tenues pour des petits enfants dont l’estomac ne supporterait encoreque des laitages ! Du temps de Paul, il était normal de prendre des précautions de langage, cf. 1 Co 3,2ss, pour ne pas compromettre la pousse de jeunes plants ; mais aujourd’hui… Les bébés deviennent bien plus vite des adultes, conscients d’appartenir à un Christ spirituel et donc aussi à un Dieu Esprit Saint Qui le veut, cet Evangile, désormais revu et corrigé dans le sens de l’essentielle vérité spirituelle annoncée par Jésus à la femme de Samarie (cf. Jn 4,23). Et ce n’est pas sous prétexte que cette promesse a été faite il y a presque deux mille ans qu’elle serait mensongère et caduque aujourd’hui et qu’il faille l’oublier définitivement, condamnant ainsi Jésus irrémédiablement comme faux prophète.

  Il est vrai qu’à un certain moment de sa pourtant brève carrière, semble s’être levée dans son âme comme une question taraudante, si l’on en croit  la fin de la parabole du ‘Juge et de la Veuve’, que seule Marie nous a léguée en Lc 18,1-8 :   

« Seulement (voilà) », dit-il alors aux Douze :

« Une fois venu, le Fils de l’homme trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

                Quelques explications s’imposent-elles encore à propos du ‘Premier Message’, p.3 ?

  L’importance capitale de Jean le Baptiste d’abord, mais plus encore la nécessité totale de sa prééminence en tant que Précurseur de Jésus le Nazôréen : voilà ce qui devait ressortir de ce premier appel à une forme de foi élémentaire qui est confiance des humains de bonne volonté en la venue de l’homme que le Dieu Souverain, Esprit de Justice et de Miséricorde a choisi de toute éternité et dont je dois, pour ma part, révéler le nom au monde, une fois que l’heure propice aura sonné. Celle-ci exige que je sois moi-même d’abord connu, plus exactement : que mon livret – il n’a guère que l’épaisseur  de l’un des quatre évangiles les plus longs, le Selon Luc ou le Selon Matthieu, mais ce dernier, tout en paraissant plus long que le premier nommé ici, est le plus court des deux  – ait été lu et approuvé de la plus grande partie des humains capables de lire et de comprendre…

  Tel est le but primordial de ma ‘Lettre ouverte au Pape François’.

  Jésus de Nazareth, son esprit bienveillant est toujours parmi nous si nous nous réunissons en son nom. Et la pensée de Jean son Précurseur aussi, je le crois fermement, nous rejoint en ce moment, pour nous inviter à nous adresser à celui que Christ a alors institué, dans la région de Césarée de Philippe, comme le Roc des Douze et de l’Eglise (cf. Mt 16,13-20). Simon Pierre n’a-t-il pas été représenté du mieux qu’il était possible par les dix derniers papes du siècle écoulé ? Et maintenant le Pape François n’a-t-il pas atteint un niveau de renommée mondiale comme aucun de ses prédécesseurs n’en a connu ? Au point que partout de par le monde il peut envoyer ses nonces apostoliques qui doivent parler en son nom, ce que les autres chefs d’Etat n’ont guère la possibilité d’obtenir de leurs ambassadeurs. De ce fait, il lui est même possible – selon une formule allemande radicale – de me ‘totschweigen’ : me ‘tuer par le silence’. Un silence qu’il imposerait par le biais du minuscule Etat du Vatican à tous les éditeurs de France et de Navarre ? Mais le Seigneur ne le permettra plus, à présent. Comprenez, Lecteurs, le sens de ma démarche. Elle ressemble à celle du Baptiste-Précurseur. Jean devait d’abord se faire connaître lui-même de tout le Peuple élu de Dieu. Il a gagné sa notoriété personnelle en appelant l’ensemble des Israélites à un acte de pénitence, à la purification annoncée par les prophètes, notamment Zacharie et Daniel. Face aux rumeurs menaçantes alors en provenance de Rome – le culte impérial pressenti de plus en plus comme le signe de l’abomination de la désolation (cf. Mt 24,15 // Lc 21,20-24) -, c’est un Peuple de croyants qui accueillit Jean, alors que, pour le Fils de l’homme de la Fin des Temps, c’est l’inverse, redouté de Jésus, qui se passe, maintenant, cf. Lc 18,8b :    

« Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? »

Comprenons, Frères humains, que la réaction des religions et des églises, des religieux et des ecclésiastiques est toujours la même face à la nouveauté absolue. Quand la situation paraît bloquée et qu’il faille que quelque chose d’absolument neuf se produise, qu’un ‘homo-novus’ se lève et se déclare, prêt à affronter le Public, alors, automatiquement, les gens d’Eglise et de Traditions diverses se rebiffent et affirment leur mainmise sur la Religion, – freinent des quatre fers, pourrait-on dire. C’est ce que Jésus de Nazareth a vite deviné lui-même lorsque, peu de jours après ses premières manifestations (par des prises de parole et des guérisons), des bruits se sont répandus comme quoi Pharisiens et Hérodiens, le parti des religieux et le clan des politiques, se mettaient d’accord entre eux sur le moyen de le mettre à mort… (Mc 3,6). Peu après, il s’est heurté à sa propre parenté qui l’accusait d’un coup de folie (Mc 3,21), relayée en cela mais avec plus de vigueur par des scribes descendus de Jérusalem : « Il a en lui Béelzéboul ! Et c’est par le chef des démons qu’il expulse les démons… ». Voilà ce qu’ils disaient, permettant ainsi à Jésus de se justifier (Mc 3,23-26), en empruntant le langage des paraboles. En particulier celle-ci, généralement peu appréciée des théologiens vu qu’ils ne la situent jamais dans son cadre concret :

« Mais personne ne peut entrer dans la maison de l’homme-fort et piller ses biens,

s’il n’a d’abord ligoté l’homme-fort (ou : le fort) ; alors il pillera sa maison. »

Pour eux, les hommes d’Eglise, il ne peut s’agir que du Diable, entendu comme le principe du Mal et de tout mal, fût-il politique ; ce qui évite d’évoquer Pilate, voire l’empereur de Rome, comme étant les ennemis naturels du peuple de Dieu. Mais sans doute Jésus l’avait-il prévu, car d’emblée il apparaît préoccupé, presque timide quant à ses pouvoirs d’opérer de vrais miracles. Le Dieu du Ciel viendra-t-il à son secours : à l’heure venue, sur la croix ?

Deuxième PARTIE : Lettre ouverte au Pape François

Saint-Père,

    En cette année de grâce 2019, où la fête majeure de la Pâque chrétienne n’est célébrée que vers la fin du mois d’avril, un peu comme si la liturgie de l’Eglise catholique, qui est aussi pour l’essentiel celle des Eglises évangéliques, voulait signifier par-là aux fidèles de l’univers une advenue très tardive de la Fin-Finalité des Temps, donc d’une évangélisation de plus en plus cahotée, trop ‘digne’ de l’eschatologie – et alors que j’ai hâte qu’elle éclate enfin à la face du monde -, Vous-même, Saint-Père, serez peut-être encore occupé par vos charges épiscopales de la Semaine sainte.

    Sans m’attarder longuement à des formalités, je dois d’abord me présenter à Votre-Sainteté comme quelqu’un qui, depuis plus de quarante ans, s’efforce d’entendre cette vérité entièrethn alhqeian pasan  – dont Jésus parlait dans son Evangile appelé ‘selon Jean’ (Jn 16,13a).  

  Oui, moi qui suis maintenant âgé de 85 ans, je prends au sérieux depuis plus d’un demi-siècle la promesse que le Fils d’un Père Qui-est-Esprit-Très-Saint a faite de la vérité totale. « Car ce n’est pas de lui-même qu’il balbutiera, mais tout ce qu’il entend, il le balbutiera, et les choses à venir, il vous les proclamera. Celui-là, c’est Moi qu’il glorifiera, parce que c’est de Moi qu’il prendra et recevra  et vous le proclamera ; tout ce qu’a le Père est mien ! C’est pourquoi je vous ai dit que c’est de moi qu’il prend, reçoit et  vous proclamera. » (Jn 16,13b-15, c.-à-d. la suite de cette même Bonne Nouvelle précitée ; et traduction aussi fidèle que possible du texte grec.)

  Permettez-moi juste un mot concernant l’expérience que j’ai faite de la Transcendance, ou plutôt, qu’il m’est arrivé une seule fois de faire dans ma déjà très longue vie. Mais je crois que tel a aussi été le cas de la  plupart des vrais Prophètes bibliques : la vision de la Lumière spirituelle.

  Oui, ce devait être pendant une nuit de mes jeunes années d’adulte – entre 1965 et 1970 – , quand soudain je vis une vive lumière sortir comme d’un cadre très noir situé quelque part à l’horizon, puis se précipiter droit vers moi, menaçante boule de feu, et, presque immédiatement après, me frapper en plein cœur. Moment magique de félicité et de sérénité, – bien sûr ressenti trop bref, où l’Invisible devient visible, non pas aux yeux du corps mais à ceux du cœur humain. En ces temps de biologisme et de triomphante chimie, y compris organique, vous serez peut-être plus enclin à vous fier au nombre impressionnant d’années qu’il m’a fallu depuis, pour parvenir jusqu’à mes toutes dernières découvertes, ou ‘révélations’ faites par l’Esprit, en même temps qu’arrachées au bout d’une lutte acharnée avec l’Ange. Et donc jusqu’à la présente ‘lettre ouverte’. 

Parce qu’il faut frapper fort et aller droit à l’essentiel, je vous exposerai d’emblée ma façon de lire et de comprendre ce que votre prédécesseur sur le trône de Saint-Pierre appelait le ‘mystère de la Passion’, ou le mystère de la ‘Croix du Christ’. Il est normal que dans son grand et beau livre en trois tomes,

 « Jésus de Nazareth », l’auteur, Joseph Ratzinger-Benoît XVI, ait d’abord voué son attention à la première partie de la vie publique de Jésus, à juste titre délimitée entre « le Baptême dans le Jourdain » et la « Transfiguration » (sur le Thabor). Ce choix étonnant, qui ne partait pas de la naissance et de l’enfance de Jésus, lui a été imposé, dit-il en un touchant aveu à la fin de son Avant-propos, « du fait qu’il ignorait de combien de temps et de combien de force il pourrait encore bénéficier à l’avenir  (pour) … dans la deuxième partie espérer pouvoir encore offrir le chapitre sur les récits de l’Enfance ». Ce qui était là daté de la fête de Saint Jérôme, le 30 septembre 2006, semble indiquer que J.R.-B.XVI n’envisageait pas encore, à ce moment-là, de s’attaquer à ce qui serait par la suite le véritable second ‘chapitre’ du livre, allant cette fois « De l’entrée à Jérusalem jusqu’à la Résurrection » ; bien entendu, en passant par ce qui devait lui apparaître l’objet le plus redoutable, le plus verrouillé de tout l’Evangile : le trop fameux ‘double Procès’, successivement devant le Sanhédrin et son président, le Grand Prêtre en charge, Caïphe, puis devant le tribunal du gouverneur romain, Ponce Pilate, – en latin : Pontius Pilatus.    

Pourquoi redoutable et verrouillé, fût-ce pour un Pape ?

  La réponse à cette question se trouvera peu à peu, à mesure que nous relirons ensemble les quatre récits de la Passion – non point dans leur totalité, mais dans les divers éléments qui se complètent entre eux. Nous relèverons avec soin et objectivité tout ce qui, dans nos traductions en français, ne correspond pas au texte grec écrit. Et qui, de ce fait, aboutit à un contresens qu’on pourra qualifier d’‘idéologique’. Donc voulu et ce, alors que les significations correctes une fois retrouvées produiront un sens général nouveau, infiniment proche de la pensée originale du Christ. Mais pour faciliter cette relecture de l’Evangile, je vous invite en premier lieu à changer momentanément de présupposés fondamentaux. Oui, portez de nouvelles lunettes, renouvelez de fond en comble votre relecture de l’Evangile de Jésus Christ.

  Voici, Saint-Père, ce véritable abordage que je vous propose.

1° Jésus, au contraire de l’axiome universellement reçu, a écrit !

  Comme Marie sa mère a écrit, à preuve, Lc 1,46a et tout le poème qui suit : Et Marie dit : « Mon âme magnifie le Seigneur  » : le MAGNIFICAT…

Voyant sa mère écrire, croit-on sérieusement qu’il (l’enfant Jésus, âgé d’un à deux ans tout juste) n’a pas voulu l’imiter ? Croit-on sérieusement qu’elle ne lui a pas inculqué très tôt les rudiments des deux langues, ceux de l’hébreu biblique et ceux du grec de la Septante, les uns et les autres vite reçus et tenus pour divinement inspirés, en même temps que l‘enfant apprenait l’araméen avec ses petits camarades de l’école ou de la rue ? (Car il lui arrivait aussi de jouer, mais déjà son jouet préféré, c’étaient les mots des deux langues, leur assemblage en petits bouts de phrase etc…)

  Comme Moïse l’Egyptien et sa sœur Myriam ont écrit (cf. Ex 15,1.20s), il devait manier très tôt les phonèmes divers de ces langues. L’écriture, n’est-ce pas, du reste, une manière de prier ? La prière des prophètes qui les incite à se projeter en avant…, avant d’accomplir les choses en paroles et en actes… Exemple : pendant les longues marches du jour, on pouvait les formuler, les concevoir en pensée, avant de les ‘coucher sur le papier’. 

Le Prophète des déserts africains l’a compris, lui qui mentionne souvent dans son Coran le nom de Jésus, ‘Îsâ’, en lui adjoignant régulièrement la formule ‘‘le fils de Marie’’. Elle, sa jeune maman, est littéralement celle qui l’a fait Dieu. Elle, la ‘Théo-tokos’ comme on l’appellera plus tard en chrétienté, elle l’a engendré Dieu, et pas seulement enfanté humain !

2° Les quatre évangiles canoniques ont  été écrits par Jésus et par Marie ! 0n s’imagine souvent que Marc a été l’inventeur du ‘genre évangile’, alors que le disciple du même nom des Actes des Apôtres, le neveu de Barnabé, était quasi un demeuré… Marcus en latin signifie « marteau » dans toutes les acceptions du mot ! Cela se savait aussi en Judée grâce aux pèlerins venus de la diaspora ; d’ailleurs, comme d’autres noms latins simplement transposés en grec. Un seul exemple ici, emblématique entre tous, le mot ‘légio’, devenu en grec : legiwn ! Assez fréquent dans l’Evangile, cet emblème de la romano-cratie !

3° L’ordre dans lequel ils ont été écrits n’est pas celui de leur publication ! Non, le Selon Jean n’a pas été le dernier écrit, mais le premier, car c’est, pour l’essentiel, l’œuvre de jeunesse, l’œuvre de la radicalité des quinze-seize ans où Jésus a affirmé le plus clairement sa divinité. Plus tard, il a forcément perdu de son assurance, cf. l’Heure de l’Agonie, en présence (endormie ? ou encore éveillée ?) de Pierre et des deux fils Zébédée,  Les trois synoptiques en témoignent, ce qui veut dire que cet effrayant épisode a été écrit à l’avance par Jésus, en même temps que déjà vécu avec effroi dans tout son être (Mc 14,34-36 et //). Car cela signifiait vis-à-vis de lui-même, mais aussi vis-à-vis de son cousin, Jean, un engagement irréversible. Son honneur entrait ainsi en jeu, lui forçant la main pour toujours, et le futur Baptiste de son côté obtenait la garantie qu’il n’y aurait plus de retour en arrière. Ce texte écrit de la main de Jésus lui avait en effet été soumis de bonne heure, comme en témoigne la première version, celle, moins existentielle, plus abstraite, mais néanmoins poignante, qui se lit (Jn 12,23-27) de l’évangile Selon Jn, où Jésus, tout en parlant de lui-même, évoque entre les lignes, son Précurseur, par ces mots :

« Si quelqu’un me sert moi, que ce soit moi qu’il suive !

                         et là où je suis, moi, là aussi sera mon serviteur à moi. »   

(Jn 12,26ab)

  Permettez, Saint-Père, que je m’intercale un instant dans ce contexte, et ce en vous rappelant d’abord un bref passage du Tome I du livre de Joseph Ratzinger-Benoît XVI. P.340 (1ère édition française, 2007, Flammarion), l’auteur souligne que, dans l’activité du Baptiste, c’est le Retour du prophète Elie qui s’est produit : telle est l’assurance qu’en donnait Jésus à ses trois disciples, pendant qu’ils descendaient de la Montagne de la Transfiguration ! Voici la version ‘marcienne’ (Mc 9,12-13) que cite J.R.-B.XVI :

« Certes, Elie viendra d’abord pour remettre tout en place. (…) »

[ Ou, en un seul verbe : « pour tout  rétablir / tout restaurer  (…) »]

Suite du texte de J.R.-B.XVI : « Jean était venu pour rassembler à nouveau Israël, pour le préparer à la venue du Messie. » [Cela est juste, mais je renvoie à ce que je disais dans mon Prologue, que « sans le précurseur, sans

le Préparateur du chemin, Jésus n’aurait pas pu venir…]

Suite de la démonstration : « Mais si le Messie est lui-même le Fils de l’homme souffrant, et si lui seul ouvre la voie du Salut par cette souffrance, alors l’activité préparatoire d’Elie doit nécessairement se  placer, d’une façon ou d’une autre, sous le signe de la Passion. (…) Jésus rappelle alors ce qu’a réellement été le destin du Baptiste, mais en citant l’Ecriture, il fait également allusion à l’existence de traditions qui prévoyaient le martyre d’Elie : (or celui-ci) passait ‘‘pour le seul qui avait échappé au martyre, bien qu’il fût aussi persécuté. Lors de son Retour…, il devra lui aussi subir la mort’’. (L’auteur renvoie ici à Rudolf Pesch, ‘Das Markusevangelium’, II, p.80.) »

 Sans forfanterie de ma part ni grand mérite, étant donné mon grand âge, je tâcherai d’entrer avec résolution et joie dans ce destin glorieux de martyr de la foi, si telle est la volonté du Dieu Très Haut à mon égard. – Que je sois la nouvelle incarnation, même timorée, même médiocre, du grand Elie me paraît en tout cas évident, et vous-même, Saint-Père, ne devriez pas avoir trop de peine à l’admettre, au vu de tout ce que je vais maintenant devoir rétablir, remettre à sa place, dans l’Evangile quadruple de la Passion qui est, comme tout le monde en convient, la partie de l’existence de Jésus la plus exposée au dictat de l’Histoire, de l’élément profane, politico-social ; – de ce que Simone Weil appelait le ‘gros animal’.

  Je souhaite, en revanche, que le Christ ressuscitérediturus – que je vais révéler au monde réussisse pleinement, Lui, dans son entreprise de rachat, pour la gloire de son Dieu, et qu’il atteigne, lui, un âge patriarcal.  

  J’achève maintenant ce que j’ai commencé de dire à propos de l’ordre de rédaction et de parution des quatre évangiles canoniques. On devine sans doute déjà sans difficulté que le dernier écrit a été le Selon Luc, l’œuvre de Marie dans la pleine maturité de sa maîtrise du grec hébraïsant de la Septante (tandis que les Actes des Apôtres seront rédigés, pour l’essentiel, par Luc, le médecin de Paul, mais plus tard). Quant au Selon Matthieu et au Selon Marc, ils ont été écrits le plus souvent en parallèle par Jésus, aidé de sa mère : elle pouvait travailler de jour – mettre au point ce que son fils n’avait pas eu le temps de compléter, ou de parfaire, appelé qu’il était, très tôt le matin, à s’activer en chemin au contact des foules et d’abord des Douze. La nuit, une bonne partie de ses nuits, était vouée à la passion orante de l’Ecriture, car chacun de ces deux évangiles devait être typé, entre autres grâce à quelque trait stylistique, ou narratif, qui lui appartînt en propre. Un génie tel que Jésus, qui avait eu l’occasion de fréquenter la nouvelle bibliothèque de Tibériade pour y lire ou emprunter des œuvres de la littérature grecque, il se doutait bien de l’existence de styles différents selon les écrivains : l’idée que « le style c’est l’homme même » allait de soi, en quelque sorte.

4° L’ordre de succession dans lequel ils devaient paraître, a été, à coup sûr, strictement fixé par Jésus lui-même, et, de même, l’aire géographique, autant que possible réglementée de manière à produire un rayonnement sur l’ensemble des peuples du bassin méditerranéen.

  Voici les précisions qu’il est possible d’apporter sur ces deux points :

– Les 14 années qui ont suivi la mort de Jésus devaient être réservées à la prédication orale ; ce qui mène à l’an 44, toujours en vue d’une Pâque-Résurrection, sachant que la mort en croix a certainement eu lieu en l’an 30 (nous verrons pourquoi il faut rejeter l’an 33 qui, par une merveilleuse coïncidence, reproduisait les caractéristiques religieuses de l’année trente). Donc le premier évangile mis en circulation a été le Selon Mt, et il l’a été dans le secteur palestino – syro-phénicien (capitale : Antioche).

– Le suivant fut naturellement le Selon Mc, toujours quatorze an plus tard, en 58, et cette fois à Rome et en Italie : ainsi, dans les deux cas, Simon Pierre a pu se trouver sur place pour veiller personnellement à la bonne opération, d’abord de l’édition et de la diffusion de I en Orient, puis aux éditions-diffusions de II, en Occident : c’est par ces deux portes les plus largement ouvertes sur le monde-habité, l’OECUMENE, que le message de la bonne nouvelle évangélique devait être envoyé primordialement, chaque fois à quatorze ans  d’intervalle.  

– Ensuite, ce fut le tour de l’évangile Selon Lc, en 72, au pays des Hellènes, à Athènes, premier centre de résistance de la culture païenne au message chrétien (cf. ce qui est dit des philosophes athéniens, en Ac 17).

– Enfin l’évangile Selon Jn, sera édité en 86 à Alexandrie d’Egypte, second centre de la résistance idolâtrique, tenu depuis toujours comme le plus primitivement enraciné.

  A ces quatre fondamentaux de ma conception de l’Evangile créé par le tandem Marie-Jésus, il faudrait encore en ajouter un cinquième, sans doute d’apparence plus subjective, mais reposant néanmoins sur du bon sens et donc de la rationalité. C’est la question de l’approche personnelle – j’y reviens – qui nous aurait fait réagir à l’événement JESOUS, si nous avions été l’un de ses proches de Nazareth. La question nous est posée deux fois pour ainsi dire, dès le Prologue de IV : cf. Jn 1,10c-11. Plus concrète, la réponse qu’apportent les gens de sa parenté à la nouvelle de ses succès populaires, succès fantastiques, sinon phantasmatiques, obtenus du jour au lendemain auprès des riverains du Lac. N’aurions-nous pas, comme eux, voulu l’empêcher de parler ?

 Ils vinrent pour s’emparer de lui. Car ils disaient : « Il a perdu la tête ! »

(Mc 3,21)

  En l’accusant d’un coup de folie, n’aurions-nous pas, nous aussi, pensé que c’était le meilleur moyen de faire immédiatement retomber la fièvre messianique, source prévisible d’ennuis ? D’ennuis avec l’autorité locale, bien sûr, elle-même sous la pression constante de l’occupant romain. Les intellectuels, venus les jours suivants de Jérusalem, leur ont emboité le pas, saisissant bien les avantages de cette tactique, à condition de hausser le ton :

Et les scribes qui étaient descendus de Jérusalem disaient :

« Il a Béelzéboul »… !  Et :

                        « C’est par le chef des démons qu’il chasse les démons ! »                                                                                                                            (Mc 3,22)

  C’est donc cela que nous ne devons plus perdre de vue, alors que la suite de l’Evangile…, y compris et surtout l’Evangile de la Passion, ne cessera plus de chercher à masquer cette brutale réalité de la méfiance de Rome à l’égard d’une nation toujours prête à se soulever pour son Dieu et son roi David. La cohabitation de deux peuples également ‘fiers et dominateurs’, quoique relevant l’un d’un nationalisme orgueilleux, l’autre d’un patriotisme spirituel-religieux, devait tôt ou tard se passer mal, voire, dans un premier temps, aboutir à la victoire de l’un et à la défaite de l’autre.
Aujourd’hui encore on hésite à trancher entre la puissance disciplinée des légions et la force maîtrisée de l’esprit. Nous voulons croire, vous et moi : avec Marie, garder confiance quand elle proclame sa foi en un Seigneur qui a secouru Israël, son enfant et serviteur, pour rappeler des miséricordes faites selon sa Promesse de toujours à toujours, à Abraham et à sa descendance pour l’éternité.

   Eux donc, les artisans, les travailleurs du bois, avec leur petite entreprise familiale, étaient, là-haut dans la montagne, exposés, plus que les paysans et les pêcheurs du Lac, à des représailles de la police locale, mais aussi, bien sûr, du pouvoir central de Syrie, d’où le légat de Rome, Vitellius, futur empereur, ne tolérait aucune incartade de foules susceptible d’être à l’origine de quelque révolte d’inspiration messianique. D’autant moins que le gouverneur direct de la Galilée, Hérode Antipas, protégé de Tibère, l’Empereur régnant, lui paraissait parfois trop libéral envers ses ‘sujets’.

  Jugé trop peu fiable sur ce point sensible de la politique générale de Rome en Orient, ne sera-t-il pas, en effet, pour finir, pris en flagrant délit (sous Caligula, en 39) de velléités dissidentes et aussitôt exilé ? Du reste, nous verrons que très longtemps – jusqu’au tome I du livre de J.R.-B.XVI inclus – l’Eglise a voulu ignorer la spécificité positive de ce fils d’Hérode le Grand, ne voulant voir en lui que le côté voyou, sinistre, même  meurtrier…

  Maintenant, après ces dernières précautions qui touchent à l’histoire et devaient nous préparer à entrer en connaissance de cause dans les affres d’une vérité nouvelle, autrement révolutionnaire ! – pour tout dire d’un vocable neuf, en ‘bon’ langage français gréco-latin : mystéricide -, je vais d’autorité retarder de quelques semaines le début ecclésial de la Passion, donc de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Rester encore avec lui – le temps de quelques pages d’écriture ! – dans la douce province du nord. Voici donc encore quelques autres prolégomènes à la Passion, en Galilée même.

  En simplifiant, j’en relève ici trois, bien qu’il y en ait encore d’autres, mais peut-être moins nettement caractérisés. Trois épisodes survenus en Galilée, que l’Eglise ne pouvait raisonnablement rattacher dans sa liturgie à la lecture des textes de la Semaine sainte. Ce rattachement, elle l’a opéré normalement pour ‘L’onction à Béthanie’ (localité située en Judée à environ 3 km à l’est de Jérusalem, sur la route de Jéricho, au versant oriental du Mt des Oliviers, cf. X. L.-D., Béthanie) : cet épisode est en effet narré en I et II juste avant le récit de la Passion ; en IV, il l’est six jours avant ! Nous, de notre côté, y reviendrons, mais en guise de Conclusion générale, comme pour faire un contrepoids aux évocations hautement persuasives de la Résurrection.   

  Alors voici le premier de ces trois qui n’est une action et un scénario qu’en paroles, mais alors, quelles paroles ! Et, de plus, trois fois répétées en des termes quasi identiques et à des intervalles irréguliers, pour annoncer ce qui allait se passer dans la Ville. Lisons le dernier de ces trois avertissements,  le Selon Mc 10,32-34 :  

 Or ils étaient sur la route, en train de monter vers Jérusalem ; et c’était le Jésus qui les menait en tête, et ils en étaient stupéfaits ; quant à ceux qui suivaient, ils s’en effrayaient. Et, ayant de nouveau pris à part les Douze, il entreprit de leur exposer tout ce qui allait lui tomber dessus :

 « Car voici que nous montons à Jérusalem, et le fils de l’homme sera livré aux grands-prêtres et aux scribes, et ils le condamneront à mort, et ils le livreront aux  païens, et ils le bafoueront, et ils cracheront sur lui, et ils le flagelleront, et ils le  tueront, et, après trois jours, il ressuscitera. »   

  Nous avons ainsi comme un résumé de la Passion entière, grâce à ce dernier des trois avertissements que le Maître des Douze Disciples a voulu leur donner, à eux spécialement – et non aux foules ! -, pour qu’ils sachent à quoi ils devaient s’attendre désormais. Des trois, c’est aussi le plus explicite, le plus complet des trois, celui qui impose toutes les étapes successives des supplices et humiliations infligés à Jésus. Le premier (Mc 8,31 ; //) ne mentionne que la ‘comparution’ devant les Anciens, les Grands-Prêtres et les scribes ; la mise à mort de la main des païens n’y est que sous-entendue, car les Romains se réservaient le droit de prononcer la peine capitale. La formule finale, censée consoler les disciples, reste la même dans les trois annonces : « après trois jours, il ressuscitera » ; en revanche, l’expression par le verbe impersonnel ‘il faut’ de la nécessité voulue par Dieu n’apparaît que dans cette première annonce. La nécessité résulte, en fait, de certaines prophéties anciennes tenues par les vrais croyants pour Paroles mêmes de Dieu ; nécessité donc imposée, à Jésus, de les accomplir. La deuxième annonce est la plus succincte des trois (Mc 9,31). Ce qui, par conséquent, demeure stable dans les trois annonces marciennes, ce sont les quatre éléments suivants :

1° l’appellation que Jésus se donne à lui-même : le fils de l’homme ; 2° sa mise à mort (verbe : tuer) ; 3° sa résurrection (verbe : se relever ; cf. le synonyme en I et III) ; 4° la précision ‘après trois jours’.

  Ce qu’il importe aussi de relever, dans la 2e et la 3e annonce, c’est le recours au verbe livrer  (mis à la voix passive, être livré, une fois au présent pour dire l’imminence de l’action : il est livré ( = il va être livré) ; une fois, pour dire l’obligation, valeur possible du futur : il sera livré ( = il devra être livré), ce qui souligne ou reprend indirectement le il faut, dei, présent en ouverture de la première des trois annonces ; appelé parfois ‘théologique’, quand il faut exprime la volonté de Dieu. Nous verrons la place du verbe ‘livrer’ dans toute la suite du récit de la Passion.

  Bien entendu, le principe des variations d’un évangile à l’autre est respecté. Exemple : Mt 16,21 garde le verbe ‘il faut’, ainsi que la formule souffrir beaucoup ; mais ce qui était précisé à propos du jour de la résurrection (après trois jours) devient : le troisième jour ! Ce n’est pas rien, car cela réduit apparemment d’un jour le ‘sommeil’ de la mort de Jésus. Et si l’on tient compte du fait que le nom ‘Jour’ pourrait, d’un point de vue eschatologique, représenter mille ans (en vertu du  Psaume 90,4, commenté en 2 Pierre 3,8), on devrait admettre que ‘le troisième Jour’ pourrait bien commencer dès le début du troisième millénaire, à savoir maintenant ou très prochainement. Il est vrai que le verbe être ressuscité de Mc, plus exactement « être relevé », est remplacé en Mt par le verbe, tenu pour synonyme, « être réveillé », donc anasthnai  par egerqhnai. Y aurait-il là pourtant une subtile nuance ? Lc 9,22 procède à la même substitution. Se meut-on dès lors moins dans le concret ? S’éveiller d’un sommeil profond vous laisse plus ou moins ‘groggy’… Non ?

19

  Je m’arrête là, car ces comparaisons pourraient encore se prolonger, fastidieuses pour les lecteurs, comme pour nous-mêmes…  

  Par rapport à cette triple annonce que nous venons de survoler, il me semble maintenant indiqué de revenir même plus loin en arrière, jusqu’au baptême de Jésus ‘selon Matthieu’. Car là, en Mt 3,14-15 seulement, se lit un bref ‘débat’ entre le Baptiste et, manifestement, un Jésus se portant candidat au baptême de Jean. Lequel baptême était, il faut le rappeler, plus qu’un simple ondoiement : un réel acte de pénitence, comprenant en principe une confession en public des péchés, avant l’immersion plus ou moins totale dans des eaux souvent froides, quelque chose comme une descente dans la mort… N’était-ce pas déjà une toute première ‘annonce’ de l’ambition ultime de Jésus ?   

  Voilà donc qu’il attend son tour dans la file des pèlerins. Son cousin a sans doute deviné sa présence, ou en a été prévenu ; soudain, il va vers lui pour  protester :        

« C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi,

et c’est toi qui viens vers moi ?! »

  Dans le texte, la phrase se termine par un point d’interrogation, notre point-virgule (;) qui, d’évidence, équivaut aussi, voire surtout dans ce contexte, au point d’exclamation, – celui-ci (!) n’ayant pas d’existence propre dans le grec classique. Sous une apparente interrogation pouvait donc se cacher une véritable déclaration protestataire. (Leçon à retenir pour la suite !)     

  Au tome I de son livre, p.34-36, Benoît XVI n’a pas manqué de souligner ce que le baptême de Jean avait de « radicalement nouveau » :

 « Il ne peut être répété et doit être l’accomplissement d’une conversion qui redéfinit pour toujours la vie entière. Il est lié à un appel enflammé pour  un nouveau mode de pensée et d’action, lié surtout à l’annonce du Jugement de Dieu et à la Venue d’un plus grand qui viendra après Jean. »

  A ce sujet, si essentiel, de la venue du Christ, notre auteur de référence n’a pas non plus manqué de citer Jn 1,30-33, où figure notamment, répétée, cette affirmation paradoxale du Baptiste, parlant de Jésus :

« Moi-même, je ne le connaissais pas… » !

 Ce dire de Jean-Baptiste nous heurte d’emblée, pour diverses raisons.

 D’abord à cause de sa totale invraisemblance, étant donné ce que nous ont appris les récits de leurs naissances et de leurs enfances respectives (cf. tout Lc 1 ; et, en partie, Lc 2 ; mais aussi Mt 3,11s.). Des liens n’ont-ils pas dû se tisser entre leurs mères – et aussi leurs pères, tant qu’ils étaient en vie ?

  Autre motif de réserve : le verbe utilisé n’est pas ‘connaître’, gignwskw, qu’on a par exemple en Jn 2,25b, mais ‘savoir’, oida, lequel devrait se compléter par l’interrogation indirecte : je ne le savais pas qui il était, – un double accusatif en somme, l’interrogative, elle-même indirecte, devant alors être précisée par l’adverbe circonstanciel‘vraiment’.

  Autrement dit, il s’agirait ici d’un savoir spirituel, d’ordre symbolique :

Jean pouvait très bien connaître Jésus, son aspect physique, les traits de son visage, mais sans avoir su forcément pénétrer jusqu’à l’intime de son être, de ses projets, de sa grandeur réelle. D’autre part, à voir aussi la satisfaction qui accompagne en général les religieux et théologiens quand ils s’emparent de cette assertion de la non-connaissance (en profondeur) de Jésus par Jean, on est conforté dans la certitude que les deux hommes non seulement se connaissaient de longue date, mais que l’un travaillait sciemment pour l’autre, la longue et pénible activité du baptiseur ayant pour but principal, certes, de se faire connaître du Peuple tout entier et, plus encore, reconnaître, oui admirer pour son dévouement à Dieu et à son Fils. Au point qu’il devenait patent aux yeux de tous que l’activité baptismale de Jean visait déjà, au-delà même de la conversion pénitentielle du Peuple, à présenter son ami et ‘frère d’armes’ comme l’Elu de Dieu (cf. Jn 1,34). Donc comme Celui qui devrait encore se faire connaître et reconnaître lui-même, bien sûr par sa propre Parole, dite et… (d)écrite (!) par son Action personnelle, mais surtout par le Jugement de Dieu. Donc par l’offrande de sa personne sur l’autel du sacrifice.  

  Maintenant, revenant à la divergence d’un instant entre eux, on ne peut qu’admettre l’évidence : de la part de Jean, il s’est agi d’une réaction parfaitement spontanée, qui prouve qu’il s’attendait à tout autre chose ; donc, à ce qui avait dû êtrebien à l’avance discuté, plus ou moins explicitement convenu entre eux, peut-être dès leurs jeux d’enfance ! Oui, c’est une sorte d’intronisation digne de ce nom qui aurait dû se produire, juste l’inverse de ce qui eut lieu : Jean devait se prosterner visiblement aux pieds de Jésus, puis descendre lui-même dans les eaux du Jourdain… Ce scénario aurait certes pu paraître téléphoné, et surtout, il aurait risqué de démonétiser trop tôt, aux yeux du public, Jean et son baptême. Aussi Jésus refuse-t-il la protestation de son cousin :

« Laisse faire maintenant, dit-il à Jean,

car c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice ». (Mt 3,15)

  Or J.R.-B.XVI ne dit rien de la protestation de Jean, il ne cherche pas à l’expliquer de façon concrète, ce qui l’eût amené à soupçonner l’existence d’une vraie connivence entre les deux hommes ; il s’étend longuement, par contre, sur la réponse « d’apparence énigmatique » de Jésus, ce qui lui permet de dévier avec à-propos vers des considérations concernant le baptême, en général, et le baptême chrétien en particulier ! Ce qu’il dit de ce dernier (ibidem, p.38) comme « anticipation de la mort sur la Croix et de la Résurrection » mérite notre pleine adhésion, d’autant que nous y trouverons, le moment venu, la confirmation du thème historique de l’ordalie.

 Il y aurait encore beaucoup à relever de ce qui est évité par J.R.-B.XVI dès ce premier tome de son livre, pour des raisons à l’évidence d’ordre théologique. Par exemple, le fait que la dernière page de Jn 1,35-50 soit ignorée dans son ensemble, car elle pourrait contrarier la compréhension que les fidèles doivent garder de la toute-puissance du Seigneur lorsqu’il lance, d’après Mc 1,16-20 et //, son premier appel, officiel celui-là, à André et à Pierre d’abord, puis à Jacques et à Jean : n’aurait-on pas là une preuve de la préparation en douceur de ce qui devait devenir quelque chose comme un scénario miraculeux destiné aux pêcheurs occupés à réparer leurs filets ?

Selon notre conviction, l’Eglise, les Eglises, voulaient que tout converge vers le concept univoque du Fils, à la fois Dieu et homme, plus Dieu que simple mortel. Mais aujourd’hui, plus urgente est, comme le ressentent les enfants du monde, la Venue du Prince-Sauveur qu’il me tarde de pouvoir manifester à l’humanité.

 Je dois néanmoins m’arrêter encore à une ultime rencontre des deux  Protagonistes. Que l’Eglise et les Eglises consentantes continuent de tenir sous le boisseau. Alors même que cette rencontre a, depuis toujours, un lien direct avec le départ de Jésus pour Jérusalem – et donc pour sa  Passion. A condition que celle-ci soit correctement interprétée…

  En effet, la traduction officielle de Mt 11,3 // Lc 7,19b n’est correcte qu’en apparence (et que d’un point de vue grammatical). Celle de la TOB est doublement incorrecte, parce qu’elle décide, de son propre chef, de substituer au verbe d’introduction ‘dire’ (eipen, aor.2. de legw « dire ») le verbe ‘demander’ !! Toutes les autres traductions, toutes officielles, respectent au moins ce verbe introduisant à une déclaration de Jean le Précurseur qui voulait faire parvenir un message spécial à Jésus – non une question !      

Mt 11,2-3 : Jean, ayant appris dans la prison les œuvres du Christ, lui envoya dire par ses disciples : « Toi tu es Celui-Qui-Vient ! Su ei o ercomenos ! [Littéralement : le venant] Ou alors [= construction grammaticale classique], c’est l’autre (des deux) que nous attendons ! / …que nous devons attendre ! h  eteron  prosdokwmen ;

Et non, comme le font les traducteurs officiels :

 « Es-tu Celui qui doit venir, ou devons-nous en attendre un autre / un différent ? »

  Même message fondamental de Jean à Jésus d’après Lc 7,19.20c ; et même erreur d’interprétation, voulue ou/et imposée par l’Eglise, très tôt, au moins dès la Vulgate. Une seule variante significative caractérise le texte de la parole adressée par Jean à Jésus, d’après III : ‘hétéron’, « l’autre des deux », est remplacé par allon  « un autre » ; d’où : « Toi tu es le Venant, ou alors c’est un autre que nous attendons / devons attendre ! »  [C’est-à-dire, en principe, un messie guerrier-vainqueur (quel qu’il soit), mais sans que puisse s’imposer l’alternative ; la distinction classique reste ouverte aux deux possibilités.]

Marie rappelle ainsi la distinction à faire entre le Messie-selon-les-Ecritures (Jésus), et le messie victorieux par les armes (ce sera le cas  de Bar Kochba, « fils de l’Etoile en l’an 66 », comme le rappelle J.R.-B.XVI). Seul Mt précise que Jean-Baptiste est alors en prison, mais pas dans n’importe quelle prison, pas le simple dépôt où il avait d’abord été mis à Tibériade (fulakh), avant son transfert, peu de temps après, cette fois dans l’énorme desmôtèrion, plus hôtel pour hôtes de marque, en réalité, que ‘tôle’, aménagé sur une hauteur impressionnante (nous allons le voir), lequel hôtel permettait l’accueil du Baptiste, ainsi que le va-et-vient de ses disciples !…

  Le ‘message’ de Jean à Jésus ne doit-il pas, dès lors, être requalifié d’avertissement du Précurseur à son successeur en prophétie, – dont nous aurons à déterminer la portée réelle. A cette fin, voici d’abord  un extrait du ‘‘Jésus de Nazareth’’ d’un RP Jésuite de la première moitié du 20e S., dont l’ouvrage connut en France un retentissement considérable.

 « Une telle question, posée au nom de Jean et par son ordre, n’est pas sans surprendre.  Jean pouvait-il ignorer que Jésus était le messie ? N’était-il pas envoyé, nouvel Elie, pour lui frayer la route ? N’avait-il pas entendu la voix du ciel qui le proclamait ‘‘Fils de Dieu’’, ‘‘Bien-aimé du Père’’? Ne l’avait-il pas reconnu lui-même au baptême et désigné au public comme l’Agneau de Dieu effaçant les péchés du monde ? Sa foi subirait-elle maintenant une éclipse et le doute envahirait-il son âme ? Non ; car s’il était vrai, comme Tertullien l’imagine, que l’esprit prophétique l’ait abandonné depuis que sa mission est finie, le magnifique éloge que Jésus va lui décerner n’aurait pas de sens ; et comment concevoir une pareille défaillance de l’esprit prophétique, sur un point essentiel de son mandat, en celui que le Christ appelle le plus grand des prophètes et même plus qu’un prophète ? »

(Ferdinand PRAT, ‘‘Jésus de Nazareth’’, 16e éd., 1947, I, p.261.)

  On voit qu’il n’est pas facile de faire bouger les lignes dans une Eglise où dominent toujours les forces conservatrices. Mais voilà sans doute aussi pourquoi il fallait envoyer le nouvel Elie, dénonciateur de tant de fautes instillées dans le Grand Œuvre   du Christ et de sa Mère.     

  Tout un chacun peut – et doit à présent, sous peine de déchaîner la Colère divine – faire le rapprochement avec la scène précédente où les deux hommes se sont rencontrés sur le lieu du baptême. Et ici encore, nous devons admettre qu’il a dû y avoir entente préalable entre eux. Une fois encore nous admettrons, sans rechigner, que le Précurseur non seulement le précéderait en Galilée pour se livrer lui-même au gouverneur – ou par l’entremise de ses disciples -, mais encore qu’il s’arrangerait pour prévenir son cousin de l’imminence, à deux jours près, de sa propre mort…, de façon à lui permettre une prédiction sûre du départ du plus grand des prophètes.

  L’éloge prononcé par Jésus de son frère et ami est magnifique :

Mt 11,11a :   « Amen, je vous dis, de ceux qui ont été enfantés de femmes,

   il ne s’en est pas levé / pas dressé de plus grand que Jean le Baptiste. »

Bizarrement, cet éloge semble suivi d’une restriction irritante, 11,11b, car on a souvent cru pouvoir expliquer que n’importe qui des adeptes convertis au Christ pouvait désormais se tenir pour plus grand (en dignité) que Jean, du seul fait de son baptême chrétien. Une sorte de magie païenne inavouée ? Telle ne saurait être la pensée de Jésus. Mais la simple grammaire non plus ne le permet pas, elle qui stipule que lorsqu’il est question de deux personnes, ou de deux choses, l’idée du superlatif doit se formuler à l’aide du comparatif. Autrement dit, ce qui est suggéré ici, c’est la thématique d’une rivalité qui, dès leur enfance, aurait animé les deux futurs ‘fous de Dieu’. La bonne traduction doit faire entendre cette réalité de concurrence qui s’est d’emblée élevée entre les deux bambins, entre lui, Jean, au départ le plus grand des deux, et lui, Jésus, le plus petit au départ, mais finissant, à l’arrivée, par se révéler le plus grand au Royaume, du fait que l’advenue de la Royauté de Dieu, c’était Lui qui la réaliserait au final. Il est donc dit ceci, dans la suite de Mt 11,11 :  

 «…non, il ne s’est pas levé parmi des engendrés de femmes un plus grand que Jean le Baptiste ; mais le plus petit des deux dans la Royaume des Cieux [= Jésus] est plus grand que lui » ; d’où : « (est…) le plus grand » (des deux).

C’est Jésus qui doit se considérer comme le plus grand (des deux).

 Marie fait dire à son fils, plus clairement (Lc 7,28) :

«Un plus grand parmi des engendrés de femmes que Jean, il n’est personne.

Mais le plus petit des deux ( de nous deux) est plus grand que lui. »

  Montons maintenant, sans plus tarder, à Jérusalem, avec Jésus et les Douze. Oui, avec la  multitude des adeptes qui les suit, tous plus ou moins tenaillés par la peur. Beaucoup cependant parmi eux sont des jeunes adultes descendus des hauteurs de la Samarie proche. Ils crient leur enthousiasme à l’idée qu’ils vont accompagner celui qui durant plus de quatre semaines vient de leur parler, les félicitant de leur foi ardente, visitant sous leur conduite tant de lieux saints que lui-même, admiratif et fasciné par la beauté des paysages, ne connaissait encore que de nom, grâce aux vieux Livres de la Loi. Jean, futur Baptiste, avait pu, lui, les parcourir à loisir, dans ses jeunes années, et en avait recommandé la visite à Jésus. Cette particularité de l’itinéraire suivi par Jésus pour se rapprocher de Jérusalem – et prendre de là quelques contacts anticipés avec la Ville et certains de ses abords -, seul III l’a suggérée (à partir de Lc 9,51) et laissée entendre, jusqu’après Lc 17,11. Ici, il n’est plus question de le montrer, comme j’ai voulu le faire dans l’une ou l’autre de mes dernières productions non écoutées-non entendues. Cela, en nous retardant trop, ne serait d’ailleurs guère adapté à une ‘Lettre ouverte’. Vous devez donc me faire confiance quand je soulève ce détail important de la vie de Jésus, qu’il est permis aussi d’attester à partir de Jn 4,4-42, c’est-à-dire de ce qui n’était alors encore qu’un projet initial.  

  Le Chapitre UN du 2e Tome du livre de Joseph-Benedikt est intitulé :

« Entrée à Jérusalem et Purification du Temple ».

  L’intention est, ainsi, affichée d’emblée, « de développer un regard sur le Jésus des Evangiles et une écoute de ce qu’il nous dit, donc susceptible de devenir rencontre et, néanmoins (…) de parvenir aussi à la certitude de la figure vraiment historique de Jésus ». (Ibidem, Avant-propos, p.11)

  Pour ma part, je ne demande pas mieux que de mettre mes pas dans les siens, tant qu’il s’agira de retrouver le Christ de l’histoire, car pour toute la partie ‘théologie’, j’avoue bien volontiers mon incompétence. Seuls, donc,  les chapitres clairement consacrés aux faits réels ayant conduit à la Passion et à la mort seront pris en compte, en même temps que mon attention se focalisera sur tout ce qui me paraîtra s’apparenter à la tactique de l’évitement, de l’appréciation erronée ou seulement lénifiante…

  Très vite s’offre un bon exemple de ces défauts qui sont toujours dus à l’influence lointaine de ce que l’on sait, ou croit savoir, du fait du prisme déformant de l’œuvre de jeunesse ; d’un mot : le portrait que IV brosse d’un Pilate jouant, à la fin, le rôle de l’avocat de Jésus face aux méchants Juifs !…

 D’abord, ce qui est bon, l’explication de la ‘‘montée’’ à Jérusalem. Prise « dans le sens géographique : la mer de Galilée » – le grand lac – « est située à environ 200 mètres sous le niveau de la mer », la vraie ! la Méditerranée ; « la hauteur moyenne de Jérusalem est de 760 mètres au-dessus de ce niveau ».

Ensuite, ce que je trouve excellent, cette unique phrase :

« Le but ultime de cette ‘montée’ de Jésus est l’offrande de lui-même sur la croix » ; non pas pour les raisons théologiques développées dans la suite de ce paragraphe, page 16, mais à cause des faits réels que nous mettrons à jour en temps opportun. Puis, lisons aussi ce qui est encore très valable :

 « Toutefois, le but immédiat du pèlerinage de Jésus, c’est Jérusalem, la Ville sainte avec son Temple (…) Jésus s’était mis en route avec les Douze, mais, peu à peu, un  nombre croissant de pèlerins s’était associé à eux ; Matthieu et Marc nous racontent que déjà au départ de Jéricho, il y avait une ‘foule nombreuse’ qui suivait Jésus (Mt 20,29 ; cf. Mc 10,46). »

Mais le savant dosage de concessions à la vérité et… d’édulcorations, il se lit à partir d’ici :

 « Dans cette dernière partie du parcours, un événement accroît l’attente de ce qui va arriver et met Jésus d’une nouvelle façon au centre de l’attention des pèlerins. Au bord de la route est assis un mendiant aveugle du nom de Bartimée. Il vient d’apprendre que, parmi les pèlerins, il y a Jésus, et alors il ne cesse de crier ‘‘Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! (Mc 10,47). On cherche à le calmer, mais en vain, et à la fin, Jésus l’invite à s’approcher. A sa supplication : ‘‘Rabbouni, que je recouvre la vue !’’, Jésus répond : ‘‘Va, ta foi t’a sauvé.’’»

  Ce qui trompe, dans cet art du clair-obscur, c’est ce qui est à la fois juste et faux : oui certes, « on cherche à le calmer », mais pourquoi ne pas avoir cité simplement ce qui, dans le texte grec, non seulement Selon Marc, mais également Selon Matthieu, est si expressif et dit bien fort, en termes identiques : « Beaucoup le menaçaient pour qu’il se taise, mais il n’en criait que de plus belle (…) » ? (Autres traductions du verbe, en grec trois fois le même (epi-timaw ), mais varié en français au gré des traducteurs :

 « enjoindre », « rabrouer »…) A côté de cette fermeté du ton et de l’intimation populaire, le « chercher à le calmer » n’est ni plus ni moins qu’une contrevérité ! En tout cas, un essai de tromperie… Bien entendu, on va encore percevoir le rayon – ou l’ombre du miracle qui se profile de façon à projeter sa part d’explication religieuse sur ce qui se produit alors : la guérison de l’aveugle… Et peut-être même, ce que suggère notre auteur :

 « Le thème ‘‘David’’ et son espérance messianique intrinsèque s’empara subitement de la foule : ce Jésus, avec lequel ils étaient en chemin, n’était-il pas en fait le nouveau David attendu ?  Avec son entrée dans la Ville sainte, l’heure où il rétablirait le règne de David n’était-elle pas arrivée ? »

    La vérité qui doit autant que possible être oblitérée, c’est que toute cette foule en marche pour suivre Jésus jusqu’à Jérusalem, avait peur. Divers détails dans ce qui a précédé ont déjà attiré l’attention sur ce fait majeur. Ou devraient l’avoir fait. Cf. Mt 19,1-2 ; Mc 10,1.32c, d’où il ressortait que, dès le départ de la Galilée, de grandes foules se sont jointes au cortège des Douze, et pas seulement à partir de Jéricho, quoiqu’il fût dès lors évident qu’on allait, tôt ou tard, s’engager dans les territoires de la Judée limitrophes ; donc un détail de poids qui limite la portée du « s’empara de la foule subitement» rencontré supra, à propos de l’espérance messianique ! Celle-ci a commencé de se former très tôt, dès lors que le Nazôréen s’était déclaré sur les rives du Lac, et ailleurs, du seul fait qu’il prêchait publiquement, en dehors même des synagogues. Un acte délictueux, nous l’avons vu plus haut, que l’Evangéliste n’avait pas besoin de rappeler, mais dont chacun était bien conscient…

  Les raisons pour lesquelles les gens s’affolent tout à coup sont faciles à appréhender : elles se rendent, pour ainsi dire, visibles à l’œil nu ! Depuis que, sous la conduite de Jésus, ils ont quitté la Galilée, puis les premières difficultés d’un territoire fréquemment inondé – tous les pèlerins adultes connaissaient de plus ou moins longue date cet itinéraire -, voici qu’à proximité de Scythopolis, la principale des villes de la Décapole mais encore sise en Cisjordanie, ils ont pu franchir à gué le Jourdain. Or, à partir de là, un spectacle nouveau s’offrait, inhabituel, à leurs yeux : des patrouilles romaines, légionnaires encadrant des troupes auxiliaires, se montraient ostensiblement et en nombre inhabituel (vu l’époque du pèlerinage), sur la rive opposée, tandis qu’eux-mêmes progressaient lentement de leur côté du fleuve, en Pérée, où ils ne croisaient que des douaniers ou de rares détachements clairsemés de l’armée hérodienne. Provisoirement il n’y avait donc pas encore lieu de paniquer, mais la seule perspective de devoir bientôt entrer en Judée, et ainsi se livrer à la merci du tyran les faisait frémir d’anxiété. La réputation de Pilate arrivé depuis trois ans en Judée était déjà solidement établie… Tout pourrait alors se produire, chacun d’eux avait en tête l’horrible façon dont, quelques semaines plus tôt,  il avait  mêlé le sang de leurs compatriotes, tous des Galiléens, à celui des sacrifices qu’ils étaient en train d’offrir sur l’autel, au Temple de Jérusalem. (Cf. Lc 13,1-2. ; fait unique, seul mentionné en III, jamais  cité au Tome II de J.R.-B.XVI ! Ni avant, ni après.)  

  C’est assurément cela qui répond à la question qu’il fallait poser : pourquoi donc beaucoup voulaient-ils coûte que coûte imposer silence à Bartimée ? N’était-ce pas parce que la salutation « Fils de David » lancée par lui à Jésus, un aveugle installé près de l’entrée à Jéricho, était comme une flèche enflammée dans le camp adverse, une espèce de déclaration de guerre à l’armée d’occupation qui n’avait que trop souvent eu à pâtir du messianisme juif ? Et n’est-ce pas ce qui, aujourd’hui encore, gêne l’Eglise catholique, les Eglises chrétiennes ?…   

  Un mot, un verbe, thérapeuô, qerapeuw, revêt aussi, à cet égard, un sens spécial. Depuis la Réforme et la traduction allemande de la Bible, il est traduit aveuglément… et ce, dans toutes les langues du monde, par ‘guérir’, qu’il soit appliqué à un individu malade ou à des foules entières. Dans ce dernier cas, cela paraît inconcevable, paraît un non-sens qui, cependant, ne retrouve du sens et du bon sens que si l’on s’avise de remarquer que ce verbe qui signifie, en premier, ‘servir’ (comme un bon serviteur sert son maître), d’où ‘honorer’ (par exemple ses parents), peut aussi signifier ‘s’occuper de’, ‘traiter’, ‘choyer’,… d’où ‘soigner’ (y compris au sens médical), mais jamais ‘guérir’, car pour cela, il existe, nous l’avons dit et redit, un autre mot précis, y compris dans l’Evangile de Dieu (formule paulinienne : cf. Rm 15,16…).

Il faut donc comprendre et traduire Mt 19,2b : De grandes foules le suivirent, et là il prit soin d’elles / il s’occupa d’elles. Non point, bien sûr, individuellement, mais collectivement. Cela n’a pu se faire que de sa forte et chaude voix leur assurant que rien ne leur arriverait de mal. C’est ainsi que la Vulgate a, bien sûr, interprété ce soin d’ordre psychique, en utilisant le verbe ‘curare’, terme dont le champ sémantique recouvre largement celui de thérapeuô, (même si le latin peut aussi, exceptionnellement, et à l’inverse du grec, adopter l’idée de guérison, en se substituant au verbe ‘sanare’). Notons en tout cas l’assurance de Jésus, fondée certainement sur des garanties obtenues suite aux tractations avec les autorités politico-religieuses.

  Conclusion : ce verbe devrait – maintenant ! – cesser d’être pris pour un synonyme de ‘guérir’ ; et… le rapprochement, initié avec la Synagogue depuis Vatican II, être mené à une communion plus complète entre les Deux Israël, de façon que tout antisémitisme, tout relent de cette lèpre puante puisse être désormais extirpé des cœurs. Et amorcée, du côté chrétien – comptons tous ensemble, dès maintenant, sur la sagesse et le profond savoir-faire du Messie-Christ de retour sur Terre –  une solution du problème palestinien !

 A partir de la page 17 de son livre, tome II, notre auteur de référence va se consacrer pleinement aux prophéties bibliques qui ont, pour ainsi dire, balisé le chemin de l’entrée à Jérusalem du futur Roi Messie.

  J.R.-B.XVI parle à ce sujet de « la préparation que Jésus réalise avec ses Disciples » et il précise qu’elle « renforce cette espérance » des foules. De cette étude minutieuse il résulte, pour nous, que Jésus a voulu réaliser, dans tous ses détails, chacune des prédictions prophétiques qui s’étaient accumulées au cours des siècles et qui devaient d’avance fixer les modalités d’une entrée solennelle dans la Ville sainte. Cette ponctualité n’était certes pas du formalisme de la part de Jésus, mais reposait sur sa foi absolue et son respect total de la Parole de Dieu, où domine notamment « le thème de la royauté avec ses promesses ». Il « revendique », par exemple, «  le droit royal de la réquisition de moyens de transport, un droit connu dans toute l’Antiquité (cf. Pesch, Markusevangelium II, p. 180). Et le fait qu’il s’agisse d’un animal, sur lequel personne n’est encore monté, renvoie aussi à un droit royal. (…) »

  J’approuve de tout cœur ce travail de précision et de ferveur qui nous fait communier avec l’état d’esprit général du Peuple et la volonté du Seigneur, à l’heure où lui revient la tâche d’accomplir toute l’Ecriture. Pourtant, il y a là, dans ce contexte, de la part de l’excellent et probe exégète, un évitement que je ne peux pas laisser passer sans réagir.

  L’histoire de l’ânon d’abord, qui figure dans les quatre évangiles, est, en partie, escamotée en IV, puisqu’elle y tient en une ligne abrupte : 

Trouvant un ânon, Jésus s’assit dessus, (selon qu’il est écrit)…  (Jn 12,14)

La citation de Za 9,9 est elle-même réduite à sa plus simple expression ; on peut se dire que le jeune Jésus ne devait pas vraiment apprécier cet honneur au rabais !  A moins qu’il se soit méfié de ce que la ‘réquisition’ de deux bêtes allait nécessiter de démarches et provoquer de futurs… commentaires !?

  Les trois synoptiques, Mt 21,1-7 ; Mc 11,1-7 ; Lc 19,29-35, racontent, en revanche, tout le déroulement des faits et gestes, sans état d’âme. Permis à eux, les deux envoyés du Seigneur, de ne pas se poser de questions quant à l’identité des intervenants dont il est parlé, mais nous ?… Et notre auteur en particulier, ne devait-il pas s’interroger sur la nature réelle de cet épisode sortant de l’ordinaire et qui n’allait pas manquer d’exciter la curiosité ? Un certain détail méritait au moins d’être relevé, celui qui m’a toujours intrigué, ou plutôt rasséréné dans mon approche de l’Evangile. Jésus envoie deux disciples dans un village visible de loin sur la pente d’en face, pour qu’ils lui ramènent une ânesse ‘à l’attache’ et un ânon avec elle ; il prévoit une objection de la part du propriétaire :

« Et si quelqu’un vous dit quelque chose, vous répondrez :

‘Le Seigneur en a besoin’, et tout de suite il les laissera aller. »

  La simplicité du langage rustique et la disponibilité des campagnards à  la demande de Jésus – ils acquiescent, sans résistance – m’émeuvent, en m’assurant que telle était bien la véridicité générale du peuple d’Israël, de la Fille de Sion accueillant son Messie Seigneur et Maître. Car ces promesses prophétiques, toutes sans exception, devaient s’accomplir maintenant, elle en était pénétrée depuis toujours. Et Lui le Réalisateur, il sait qu’elle les connaît … à la limite du désespoir.

  Et c’est donc que cette ânesse et son petit avaient été placés là exprès :

… près d’une porte, dehors, dans la rue tournante…

(Détails de Mc 11,4b !)

  Ainsi interprété, il me semble que l’épisode peut certes encore évoquer dans nos esprits l’existence d’un ‘réseau’ au service de Jésus, mais sans la connotation guerrière que lui a prêtée, par exemple, un Jacques Duquesne dans son ‘‘Jésus’’ romancé, mais de lecture toujours enrichissante, grâce à la formidable documentation qui l’accompagne.

  Vous m’accorderez, je pense, Saint-Père, que votre prédécesseur, notre  cher Joseph-Benedikt – veuillez excuser ma familiarité -, a fait preuve, peut-être, de pusillanimité, en évitant une interprétation de cet épisode dont il aurait su, bien mieux que moi, oui, éprouver et faire ressortir la profondeur, la beauté. C’est d’autant plus regrettable que, une à deux semaines plus tard, une circonstance analogue va se représenter, où il s’agira de ‘dénicher’ une grande salle dans la Ville, alors pourtant surpeuplée, pour y faire les préparatifs du repas pascal. (Cf. Mt 26,17-19 ; Mc 14,12-16 ; Lc 22,7-13). Là encore, il se trouve donc que tout a été mis en œuvre, organisé par avance. Un, deux, trois inconnus ? Encore la marque du même ‘réseau’ ?

    Une fois que s’est faite l’entrée triomphale dans Jérusalem, notre auteur pense pouvoir déceler un accueil plus mitigé des habitants de la Ville à l’égard de Jésus. En apparence il a raison quand il distingue entre deux foules, celle qui, « à la périphérie de la ville, rendait hommage à Jésus » et celle qui, par la suite, « exigea sa crucifixion » (p.22). Ce  n’est pas du tout ma position personnelle, comme on le verra quand j’aurai pu sonder jusqu’à son tréfonds le secret évangélique de la Passion. Et j’ai même la certitude  que ce n’est pas non plus la pensée intime de l’homme capable de s’élever à la hauteur des réflexions que lui inspire, au chapitre suivant, « le discours eschatologique de Jésus ». Je m’en tiens donc au niveau qui est le mien, par la grâce de Dieu, celui du limier – si vous voulez bien, Très Saint Père, me reconnaître ce qualificatif – qui flaire les fausses pistes auxquelles le penseur supérieur était sans doute contraint, et se contraignait lui-même du fait de son éminente dignité. Sans compter la malveillance (ou la naïveté ?) de certaines Eminences cardinalices envers lui ! (Je renvoie le lecteur naïf au livre de Nicolas Diat : ‘L’homme qui ne voulait pas être Pape’ !) 

  Dans ce même contexte immédiat, voici encore ces deux autres phrases, l’une qui précède, l’autre qui suit celle citée plus haut (prière de rétablir l’ordre normal de la lecture) :

 « Du prophète venant de Nazareth on avait de quelque façon entendu parler, mais il semblait ne concerner en rien Jérusalem, on ne le connaissait pas. (…) Dans cette double information de la non-reconnaissance de Jésus – une attitude d’indifférence et de frayeur à la fois -, il y a déjà  comme une allusion à la tragédie de la ville, que Jésus a annoncée à plusieurs reprises, de la façon la plus tranchée, dans son discours eschatologique. »  

  Le mot de ‘frayeur’, que nous venons d’entendre là, rattrape le reste des assertions, nous met sur la bonne voie, efface ce qui ne tient pas la route. Croit-on sérieusement que les Hiérosolymitains étaient incapables de simulation et de dissimulation ? Que dans ces circonstances, ils n’ont pas, spontanément, su baisser la tête, jouer l’indifférence ? Le ministre de l’intérieur de l’époque, tel ou tel des grands-prêtres, aurait-il négligé de leur recommander la plus extrême réserve ? ‘‘Surtout pas soulever de vagues !’’ Non, ce n’était pas, par hasard, le mot d’ordre chuchoté de bouche à oreille ? Et les plus fanatiques des sicaires, tous fichés, n’avaient-ils pas été mis préventivement à l’ombre, tout le temps nécessaire ?

  Oui, admirons l’art de l’ambivalence pratiqué par Benoît XVI dans ces lignes ‘jésuitiques’, dignes de la ruse des serpents et de la blancheur des colombes dont parle Mt 10,16b. Inutile donc de nous attarder sur cet argument bancal que bien des auteurs de ‘Vies de Jésus’, beaucoup d’exégètes, chevronnés même, ont exhibé, dans leur acharnement à justifier des conceptions contaminées d’antijudaïsme, pour ne pas dire d’antisémitisme primaire larvé. Pourtant, pauvre Jean-Baptiste, lui qui doit se retourner dans sa tombe, chaque fois qu’il entend des théories de cet acabit ! En effet, elles tendaient toutes à prouver qu’il avait sacrifié sa vie pour rien, prêchant et baptisant pour rien toute une année durant. Pour rien l’Evangéliste avait écrit, Mc 1,5 : Et sortait vers lui tout le pays de Judée, ainsi que tous les habitants de Jérusalem (…) Même, selon Mt 3,7, beaucoup de Pharisiens et de Sadducéens (venaient) au baptême.

  Enfin, ne perdons plus de temps, ni plus de place, pour nous assurer à l’aide de références impuissantes à convaincre des sourds obstinés.

Avec conscience, lucidité, merveilleuse intuition, Benoît XVI étudie, au chapitre 2, « Le discours eschatologique » de Jésus. 

De ce discours, « transmis par les trois Synoptiques avec diverses variantes », il précise, p. 43, « les thèmes centraux : la destruction du Temple, la destruction de Jérusalem, le Jugement final et la Fin du monde » ; puis, fort de cet aperçu d’ensemble, il dit que, « dans l’absolu, ce discours peut être qualifié comme le texte le plus difficile des évangiles. » Je veux bien l’en croire ! En conséquence de quoi, je me dérobe à toute confrontation avec ce texte, important avant tout d’un point de vue théologique. Il me suffira donc de mentionner ici les trois sous-titres de ce chapitre, qui représentent, selon l’auteur, les « trois éléments du discours eschatologique où sont évidentes les intentions essentielles de la composition », à savoir : « 1. La fin du Temple » ; « 2. Le temps des païens » ; « 3. Prophétie et apocalypse dans le discours eschatologique ».     

  Telle est l’extension de ce chapitre : une trentaine de pages ! Après quoi viennent deux chapitres fondés quasi uniquement sur le Selon Jean, le chapitre 3, avec « Le lavement des pieds » (p.71-95), où, de façon inattendue, grâce à Judas, on entre un instant, dans le concret de la Passion ; puis, le chapitre 4, avec « La Prière sacerdotale de Jésus » (p. 97-124). Seule donc la brève section du ch. 3, sous-titrée de façon ambiguë « Le mystère du traitre », va nous retenir un moment parce que là, en trois versets dispersés comme trois touches séparées de la gamme, on entend la voix du misérable. (Cf. p.86-90).

  L’ambiguïté de ce ‘mystère’ tient en fait, avant tout, à la rivalité qui oppose depuis des siècles – un demi millénaire – deux Eglises nationales d’Europe : l’Allemagne et la France. Cette division religieuse persistante, interne à l’Eglise qui se veut universelle, a pour cause une deuxième falsification de l’Evangile. Etait-ce la conséquence, la suite nécessaire d’une Réformation  tout aussi indispensable ? Lorsque Martin Luther, le traducteur en allemand de la Bible, décida qu’il fallait rendre le verbe para-didômi (didwmi « donner ») par ‘trahir’, il infligea à ce mot une signification qu’il n’a jamais eue, car son préverbe para-, comme la préposition ‘para’ suivie du génitif, ne signifie que « d’auprès », « de la part de », d’où, avec le verbe donner : « transmettre », « livrer » ; donc sans idée de ‘traîtrise’. C’est la seule traduction valable dans ce contexte relatif à Judas. Dans tout l’Evangile grec n’apparaît qu’une seule fois, à son sujet, le verbe pro-didwmi, sous la forme du substantif prodotès « le /un traître », où le préverbe ‘pro-’ « d’avance » spécifie l’idée de simulations, d’apprêtations, de vilenie, au total… Le verbe correspondant latin (‘pro-do’ ; à l’instar de ‘tra-do’), a un champ sémantique identique pour l’essentiel à celui du grec. Une certaine ambiguïté voulue semble caractériser la phrase grecque qui conclut la ‘liste’ des noms des Douze ; elle est ainsi formulée, Lc 6,16b : Ioudan Iskariwq os egeneto prodoths : Judas Iscariôth, qui devint ou : fut fait (le / un) traitre. Comment interpréter au juste cette relative ? Marie a peut-être voulu suggérer qu’avec le temps, l’idée de trahison devait peu à peu et de plus en plus évincer le thème de la livraison, cher aux connaisseurs de la Bible hébraïque. De plus, avec les années qui passaient, la thématique du traitre s’était institutionnalisée en tradition qu’il n’était plus question de bousculer.   

On voit en tout cas qu’ici se retrouve le même procédé de la ‘traduction-trahison’ rencontré plus haut à propos de ‘soigner’ et de ‘guérir’. Et que par cette inexactitude devait infailliblement s’insinuer dans le récit de la Passion une première et profonde déviation de la vérité du drame de la Passion, – qui devint aussi, de ce fait, ou a été faite, grâce à cela, le drame de l’Apôtre prédestiné à cette tâche par l’Ecriture même (cf. Ac 1,16 !), à agir contre Jésus, en réalité pour Lui. Pour lui obéir. Voici ce qu’elle dit en effet, Ps 41,10, selon Jésus qui cite lui-même ce verset (d’après Jn 13,18), en l’abrégeant : « Même celui qui (…) consommait mon pain, il a levé contre moi son talon. » La BiJér explique : « … il se hausse à mes dépens ». Bref, le 12e Apôtre devait livrer son Maître et Ami. Tel était son devoir : lui rendre ce ‘diabolique’ service par lequel il se condamnait lui-même. Le thème de l’autosacrifice n’était-il pas d’origine divine et ne les assurait-il pas l’un et l’autre, Judas comme Jésus, tous deux débordant de la foi de leurs ancêtres et frères en judaïté, que serait sauvée la part de l’humanité qui aurait placé en eux, en eux deux, sa Foi ‘souleveuse de montagne’ (cf. Mc 11,23) ! ?

  Nous aurons encore à revenir par la suite  sur l’héroïque personnage, car ici nous n’en sommes qu’au début du chemin de Croix. En attendant, nous devons nous tenir fermement à cette découverte : de même que Jésus a eu besoin du Baptiste pour entrer dans l’arène publique, de même il a besoin maintenant de l’ich kariôt, « l’homme de Carioth », pour en sortir. Et, ainsi, préparer la potentialité de son élévation-résurrection le Troisième Jour, là encore en vertu de l’Ecriture ! Car, malgré dénis et jurons de bien des exégètes qui ne veulent pas que Jésus ait pu comprendre ainsi ces paroles du prophète Osée, j’ose affirmer que celui-ci se plaçait bel-et-bien dans la perspective eschatologique quand il a dit, Os 6,1-2, au nom de YHVH / Yahweh (‘orthographe’ préconisée par X. L.-D., opus cité) :

« Venez, revenons à YHVH. Il a déchiré, Il nous guérira.

Il a frappé, Il bandera nos plaies. Après deux jours, Il nous rendra la vie.

Le Troisième Jour, Il nous relèvera ! Et nous vivrons en Sa Présence… »

  Après cette halte occasionnée par « le Mystère du traître », celui-ci surnommé  tel et sans cesse répété tel dans l’Evangile luthérien, voire comme étant la vérité des deux Confessions officielles allemandes, la catholique comme la protestante -, nous nous résoudrons à passer par-dessus les pages de « La prière sacerdotale de Jésus », du pur Saint-Jean, allais-je dire si je n’avais moi-même été inspiré du Souffle en attribuant la quasi-totalité du Quatrième évangile au jeune Fils de Dieu. Permettez-moi, Saint-Père, de citer juste deux phrases encore de ce chapitre 4, assertions qu’il me plaît de distinguer entre bien d’autres :

– P.106 : « Le chrétien ne croit pas à une multitude de choses ; au fond, il croit simplement  en Dieu, il croit qu’il existe seulement un seul et vrai Dieu. »

– P.120 (où nous sommes renvoyés à Ephésiens 4,13, et, indirectement, à Pierre Teilhard de Chardin…) :  

« L’incarnation du Logos continue jusqu’à la pleine maturité du Christ. »

Oui, permettez-moi maintenant, Cher Pape François, de vous tendre la main, pour qu’ensemble et plus complètement encore nous passions par-dessus ces deux chapitres de l’excellent livre : « La prière sacerdotale de Jésus » et « La dernière Cène ». Rien ne nous empêchera de les lire en aparté. Il faut les laisser aux spécialistes de la théologie et aux techniciens de l’exégèse.

Passons immédiatement au chapitre 6 : « Gethsémani ».

  Là-même je serai, pour ma part, très succinct. Naguère encore, quelques-uns de mes tapuscrits en sont témoins, je me gardais d’‘entrer dans le jardin du mont des Oliviers’ ; il m’inspirait une sorte d’épouvante instinctive, car j’y voyais le lieu de la plus grande angoisse éprouvée par Jésus, au point qu’il risquait de s’effondrer jusqu’à perdre sa nature divine, comme l’ont suggéré des exégètes de renom. Aujourd’hui, avec bien des êtres spirituels, c’est le contraire, je pense, qui doit être vrai : Jésus a été, à ce moment-là, le plus proche de son Père.  Pourquoi ?

  En ce weekend de la Semaine sainte (13-14 avril 2019),  le numéro du journal La CROIX intitule  un de ses articles : « Pourquoi Jésus ne s’est pas sauvé ? » La question, posée par des enfants, mérite en effet d’être posée, au propre comme au figuré. Pourquoi n’être pas sorti, à temps, du jardin – ou du domaine (selon Mt et Mc) ? Il lui suffisait de quitter l’enclos quelques minutes plus tôt, d’aller cent mètres plus loin avec ses disciples, de s’y tenir tranquilles, et le rendez-vous avec la foule menée par Judas était manqué ! Ladite troupe de police pouvait s’en  retourner, et l’on ne parlait plus de l’affaire Jésus. Tout était fini. Mais alors, quid de la gloire du Fils de Dieu ? Perdue, à jamais ! Jésus se serait ‘sauvé’ physiquement, pour le temps d’une vie humaine. Ce qui, en temps normal, serait certes fort appréciable ; vu, en revanche, sub specie aeternitatis, le déshonneur, la honte pour soi-même ! Et surtout l’abandon conscient des masses païennes à leur triste perdition… Cela, le Fils, qui devait apporter Dieu au monde, selon la formule de Benoît XVI, pouvait-il  l’admettre, le tolérer, face à son Père ? Y pensait-il, quand trois fois il  suppliait, visage contre terre, que l’horrible supplice lui soit épargné ?  Je pense que oui, que c’est même cette pensée qui l’a soutenu, ‘sauvé’ de l’effondrement, libéré finalement du piège pernicieux de l’attente évitable. La tentation la plus torturante, à laquelle, personnellement, je n’aurais su résister. Je l’avoue en toute humilité.

  Dans le journal susnommé, c’est à des enfants que la question est posée. Il m’intéresserait de savoir comment des jeunes d’aujourd’hui réagiraient à ma vue des choses, après avoir lu ou entendu les explications de la journaliste. Je crois qu’ils se montreraient beaucoup plus exigeants, et ne se satisferaient pas aussi facilement d’approximations plus ou moins théologiennes…      

  Ici, il me faut signaler les principales particularités de la version du Selon Jean ; et, en même temps, dénoncer une traduction inexacte voulue, ayant pour conséquence de fausser l’interprétation générale de la PASSION.

  D’abord, Jn 18,1-12 ne raconte pas une scène de souffrance comme celle de l’agonie morale de Jésus dans le jardin de Gethsémani. C’est la scène de l’arrestation, telle que rapportée en gros par les synoptiques, moins l’histoire du baiser de Judas (vv.1-3 et 10-11), mais encadrant un ‘signe’ johannique d’un genre très particulier (vv.4-9) : un miracle de la Parole ! Je précise : de la parole grecque, du Logos, en somme ! Ou un jeu de mots comme seul un jeune ado pouvait adorer s’y livrer dans ses découvertes éblouissantes de la langue des Hellènes. A l’entrée du Jardin, les premiers des ‘sbires’ (ainsi volontiers nommés les hommes venus ‘arrêter’ Jésus, mais y figurent aussi  grands prêtres et officiers du Temple et Anciens, il est vrai uniquementd’après Lc 22,52) s’entendent demander : « Qui cherchez-vous ? » Ils répondent : « Jésus le Nazôréen. » La réponse de Jésus peut alors être comprise de deux façons différentes, soit : « C’est moi » (version officielle, seule lue dans les Eglises) ; soit : « Moi Je Suis » ; la formule grecque, dans les deux cas, est  la même : «Egw eimi.… Egô eimi… » Dans ce deuxième cas, les lettrés, ou scribes se souviennent d’Exode 3,14, LXX (= longtemps la seule traduction grecque de la Bible hébraïque des Septante : c’était en tout cas la seule officielle en Israël et dans la Diaspora, du vivant de Jésus) ; les simples miliciens-serviteurs ne comprennent que la réponse banale, ‘C’est moi’. Pourtant ils tombent à terre, ou reçoivent l’ordre de se laisser tomber, donc de se prosterner : en maître des cérémonies, Judas Iscariote se tient toujours là, spécialement mentionné (5c) ! Du geste de ses deux mains il leur aura alors signifié l’ordre.  Donc, à ce stade du récit, intervient un second double-sens, le verbe piptw qui a ces deux possibilités : soit une chute involontaire, donc en l’occurrence  miraculeusement provoquée, soit une ‘chute’ volontaire. Les deux classes socio-culturelles en présence peuvent croire, l’une et l’autre, qu’un vrai signe s’est produit, suite à la Parole souveraine.  

Voici la suite des événements, toujours tels que prévus par Jésus, selon respectivement Jn 18,3 et 10 : ce sont encore deux détails de vocabulaire mais qui ne manquent pas de signification orientée. Au v.3, la plupart de mes traductions officielles rendent le mot speîra speira  par ‘cohorte’ ; c’est-à-dire qu’elles acceptent l’idée de la participation romaine à l’expédition ! Mais il faut tout de suite rappeler que le même terme, « dans la traduction grecque de l’A.T. désigne aussi des troupes juives » ; d’où ‘la milice’ du Temple, d’après la TOB seule. Cela rend invraisemblable la thèse de la participation romaine, même si les effectifs de la cohorte ont été considérablement revus à la baisse (de 1000 à 600 hommes au temps d’Auguste, puis de Tibère) ! L’idée de cette participation doit surtout nous paraître révélatrice des rêves de grandeur du jeune poète, au moment de l’écriture de IV (où pourtant le vocable d’‘évangile’ ne figure pas encore !…) Par ailleurs, il faut tenir compte de ce que disent I et II de la présence de toute la cohorte, à l’occasion des outrages infligés à Jésus par la soldatesque, la fameuse mascarade Mt 27,27-31 ; Mc 15,16-20 ; cf. aussi une plus brève évocation en Jn 19,2-3.5 ;  quant à III, – Lc,23,11 -, il n’y est question, dans ce contexte, que d’Hérode se livrant, avec sa garde personnelle, à des jeux de mépris et de moqueries envers Jésus… – ce que j’interprète ainsi : pour lui, il s’agissait, en plein Jérusalem, de prendre ostensiblement ses distances vis-à-vis de celui qu’il avait épargné et redouté jusque-là, quand il voyait en lui un prophète réellement thaumaturge. Par la formule de I et II ‘toute la cohorte’, j’entends donc la jonction des deux moitiés de la cohorte de protection, celle qui entourait le gouverneur à l’intérieur du prétoire, et celle qui était restée à l’extérieur pour surveiller de près les abords et tenir à distance la foule. A cet instant dudit procès, le gouverneur n’avait plus aucun souci à se faire d’un quelconque guet-apens de la part d’éventuels extrémistes juifs ; on était alors à l’heure des réjouissances générales auxquelles le chef invitait lui-même ses braves…  

  Enfin, à supposer qu’on veuille malgré tout donner raison à la Vulgate qui, en traduisant le mot grec chiliarchos « chiliarque » (« commandant de mille ») par le mot latin ‘tribunus’, « tribun », semble opter pour la participation romaine (Jn 18,12). Mais toute cette discussion est finalement vaine pour nous qui savons définitivement maintenant, je l’espère, que la Passion Selon Jean n’a été qu’une première ébauche, certes géniale des Passions Selon Mt et selon Mc (celle Selon Lc, écrite en dernier lieu,  ayant de ce fait ses originalités propres, reste cependant très proche des deux précédentes, tout en suggérant parfois des transitions entre Jn d’un côté, et Mt-Mc de l’autre).

  Voici une dernière réflexion qui, à partir de ce verset, Jn 18,12, concernera les hupèrétaï, uphretai, fréquents dans ce chapitre, mais ils le sont aussi dans le cadre correspondant des deux premières Passions synoptiques. Il est remarquable que Marie ait laissé totalement de côté ce mot, qui n’a que ces deux sens essentiels en grec classique de « rameur » et de « serviteur » : or la plupart des traducteurs patentés le rendent de façon systématique par ‘garde’ quand il s’agit d’ajouter une note militaro-policière au récit : exemple-type de traduction-trahison dans les contextes du ‘procès’, donc en premier lieu de l’‘arrestation’ ; cela fait plus sérieux ; puis on revient au sens correct de ‘serviteur’, dès que cela s’impose ou ne tire plus à conséquence. Exemples (liste non exhaustive !) de ‘ gardes’, à la place de serviteurs :

Jn 18,3 : (…) Le Judas donc, ayant reçu la troupe [ // la cohorte (speiran)] et des serviteurs (hupèrétas) de la part des grands-prêtres ainsi que des Pharisiens, vient là avec lanternes, torches et armes.

[La BiJér introduit ici le mot ‘garde’, suivie en cela par Osty, la TOB, A. Ch., la Lecture liturgique… Crampon avait eu recours à ‘satellite’, terme qualifié de ‘Vx’ par le Dict. mais qui a le mérite de préserver l’idée de ‘serviteur’.]

Il en va, plus ou moins, de même pour les autres occurrences :

Jn 18,10 : Alors Simon-Pierre (…) frappa  l’esclave du Grand-Prêtre [doulon ] et non  le ‘serviteur’ : envoyer l’un des serviteurs du Grand Prêtre pour procéder à l’arrestation du présumé blasphémateur, ç’eût encore faire trop d’honneur à celui qu’il fallait humilier à tout prix ! Mais une autre interprétation, nous le verrons, reste possible. Les deux pouvant d’ailleurs se chevaucher. ]

18,12 : (…) : La troupe donc et le commandant et les serviteurs des Juifs saisirent le Jésus et le lièrent et l’amenèrent chez Hanne, d’abord.

Mêmes remarques que pour le v.3 : satellites (Crampon), ‘gardes’, au lieu de serviteurs, seul correct : de la BiJér à la TOB, mêmes alternances…

18,18 : (…) : Ici, dans la cour du palais archi-sacerdotal, la configuration a changé pour garder l’opposition entre les deux catégories sociales :

 Les esclaves (douloi) et les serviteurs qui avaient fait un feu de braise parce qu’il faisait froid (…) : Crampon reste fidèle à ses ‘satellites’ pour serviteurs mais mis en 2e position, et traduit ‘esclaves’ par ‘serviteurs’ ; BiJér et TOB doublent les inexactitudes en mettant : ‘Les serviteurs et les gardes’… Notons   à ce propos que X. L.-D., serviteur, ignore volontairement (?) l’existence des uphretai , serviteurs, dans les récits de la Passion.

18,22 : (…) : un ‘des gardes’ pour : un des serviteurs : A ces mots de Jésus, un des serviteurs qui se tenaient là lui donna un coup (…) 

18,26 : (…) un ‘des serviteurs’ pour : un des esclaves : Un des esclaves du Grand-prêtre, qui était un parent de celui dont Pierre avait tranché le bout de l’oreille (…) dit : (…)

18,36b : Jésus, dialoguant avec Pilate : « Si ma royauté / mon royaume était de ce monde, mes gardes [pour mes serviteurs] auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs (…)

La BiJér et Osty, astucieusement : Si mon royaume (à moi) était de ce monde, mes gens (à moi) (= mes serviteurs [mais non sans une possible nuance militaire justifiant partiellement la traduction par ‘gardes’]) auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs (…)    

  En conclusion de ce long paragraphe, que vous avez dû trouver trop technique, Cher Saint-Père, nous pourrions dire en revanche qu’il dessine une certaine image de la société urbaine de la Ville, Jérusalem. Avec, tout en bas des classes sociales, les esclaves, ceux qui ne jouissent d’aucun droit, pas même celui de se marier [est-ce la signification que l’Eglise a voulu donner au célibat des prêtres ?]. Se situant un peu au-dessus, les serviteurs, qui peuvent louer leurs services moyennant salaire à un maître : justement ces hupèrétaï – souvent mentionnés et déformés en ‘gardes’ au gré de ce qu’on veut asséner – qui me font penser aux ouvriers agricoles (ergatai) de la parabole des travailleurs de la vigne, payés à l’heure, voire à la journée (cf. Mt 20,1-16) ; eux, les serviteurs urbains, pouvaient l’être aussi, mais de façon plus stable. Surtout s’ils étaient au service de maîtres de maison tels que les grands-prêtres : « ‘au pluriel’, membres de l’aristocratie sacerdotale de Jérusalem, admis au sanhédrin », et désignant, avec les anciens et les scribes, comme le dit X. L.-D. dans son ‘‘Dictionnaire du Nouveau Testament’’, « l’ensemble des autorités du Peuple juif ». Entre autres, le ministre des finances et celui de l’intérieur, le chef de « la police du Temple ». Cela se vérifiait aussi des Pharisiens les plus élevés en grade, surtout des plus huppés d’entre eux…  

  Mais il me faut encore faire un sort à un épisode spécifique de ladite arrestation, celui de l’oreille coupée de l’esclave du Grand Prêtre !   

Minuscule passage. Mais présent dans les quatre évangiles. Et très instructif ! D’un bout à l’autre, la victime du coup frappé est l’esclave du Grand-Prêtre. Peu nous chaut qu’il s’appelle Malchus ; et que, sans doute, il fût quelque chose comme le secrétaire général du palais pontifical. Ni que celui qui apostrophe Simon Pierre, dans la cour auprès du feu de braise, dans le froid de la nuit, fût un parent du malheureux blessé. Autant de détails qui attirent l’attention pour mieux la détourner dans diverses directions. L’important est concentré, d’une part, sur les noms de la fameuse oreille (deux sortes de diminutifs !) et, de l’autre, sur l’agencement de l’ensemble de l’événement.

Cet agencement, pour commencer par-là, a deux pôles, de dimensions différentes : un plus court et un plus long, chacun dissymétrique l’un par rapport à l’autre.

  Premier pôle rédigé dans le temps :

[Jn 18,10 +…, c’est-à-dire la première des quatre versions :

  Simon-Pierre donc, qui avait une épée, la tira, frappa l’esclave du Grand-Prêtre et lui trancha son oreille, celle de droite (en fait : son petit bout d’oreille – le lobe ! -), celui de droite).]

Mc 14,47 ( = seconde version) :

  Un de ceux qui se tenaient là, tirant l’épée, frappa l’esclave du Grand-Prêtre et coupa son oreille (= en fait : son petit bout d’oreille, sans précision du côté !)  

On voit ce qui reste stable : en plus du statut d’esclave de la victime (doulon), il y a l’épée (machaïran), vocable qui peut aussi se traduire par glaive, – arme plus courte, ce qui diminuerait la difficulté de l’exploit ! Voire même par scalpel, outil plus ou moins fin, utilisé par les chirurgiens de l’époque. Notons ce fait lexical, également attesté !

  Tout le reste des mots présents dans ce premier pôle varie, mais sans conséquence notable ; la plus visible de ces variations concerne l’ajout ‘de droite’. Précisons ici que la version d’Osty  (traduction pourtant officielle,  approuvée sous le pontificat de Paul VI) a tenu à distinguer par ‘‘petit bout d’oreille, (celle de droite)’’ les deux sortes de diminutifs grecs qui se trouvent en IV, II et I (+ 1 fois sur 2 en III) : to wtarion  et to wtion,  à la place du mot normal pour signifier « oreille », le nom neutre to oûs, génitif : toû ôtos. Si celui-ci ne figure qu’en III, on comprend que Marie, écrivant surtout pour obtenir la conversion des païens d’Occident –  un raisonnement tenu aussi par J.R.-B.XVI dans un autre contexte –  ait voulu rendre plus vraisemblable le miracle opéré sur un pavillon auriculaire complet, plutôt que sur un simple lobe, lequel aurait été, en outre, retranché d’un grand coup d’épée !… Pourtant, en Lc 22,51, Marie revient, elle aussi, à l’un des deux diminutifs ; et là, on saisit la raison probable de ce revirement : elle savait bien que ces mots rares, fréquents dans la Septante, pouvaient remplacer le terme simple au sens propre, mais revêtaient souvent, en plus, des significations théologiques-symboliques, – celles-là même que X. L.-D. énumère et explique savamment dans son Dictionnaire du N.T. (oreille).

  Voici maintenant le deuxième pôle, caractérisé, lui, par une certaine longueur, avec ses deux parts inégales, l’une qui s’effiloche peu à peu en considérations théologiques, mais augmentées d’un fort coefficient social et, simultanément, moral-spirituel ; l’autre, qui ‘solutionne’ abruptement. L’ordre chronologique de leurs rédactions respectives devrait apparaître.

Mt 26,51-54 :

 Et voici qu’un de ceux qui étaient avec Jésus, étendant la main, tira l’épée / le glaive et, frappant l’esclave du Grand-Prêtre, lui coupa son bout d’oreille. Alors Jésus lui dit : « Remets ton épée / ton glaive à sa place, car tous ceux qui auront pris l’épée / le glaive périront par l’épée / le glaive.

 Ou penses-tu que je ne puisse pas invoquer mon Père, qui me fournirait à l’instant plus de douze légions d’anges ? Comment donc s’accompliraient les Ecritures, d’après lesquelles il faut qu’il en soit ainsi ? »   

Lc 22,50-51 :

  Et l’un d’entre eux frappa l’esclave du Grand-Prêtre et lui coupa l’oreille, celle de droite. Or, prenant la parole, le Jésus dit : « Laissez, jusque-ici ! »

Et ayant touché son bout d’oreille, il le guérit. »

  Tiens, tiens ! Le pronom le ne désigne pas, ici, le bout d’oreille, mais, étant au masculin, en grec auton, – et non au neutre, auto, le genre de tous ces vocables, diminutifs ou non -, il désigne la personne, propriétaire de l’oreille ou du bout d’oreille : le miracle de la guérison concerne ainsi la personne entière, bien que, ou parce que, esclave !

  A présent, nous pouvons entrer de plain-pied dans la Passion de Jésus-Christ. Ce qui veut dire, d’abord : dans le palais pontifical et comprenons, après toutes ces explications, ce qui s’y est passé pour de bon. En pleine nuit, ce ne pouvait être qu’un début, donc un semblant d’enquête !…   

Mt 26,57 : Ceux qui avaient arrêté Jésus l’emmenèrent chez Caïphe, le Grand-Prêtre, où les Scribes et les Anciens s’étaient assemblés.

La preuve qu’il ne s’agissait là que d’une formalité : d’avance, rendez-vous leur avait été fixé en la salle du conseil, ‘pour tout de suite, après l’arrestation et l’arrivée du prévenu !’ L’une et l’autre annoncée d’avance. Nulle hésitation à ce propos, au sommet de la hiérarchie ! D’emblée, on s’était apparemment préoccupés de disposer de faux témoins, en vue de la mise en accusation et en vue de la condamnation à mort, aboutissement alors normal de tout blasphème ayant atteint le Dieu Saint et ayant été, en l’espèce, publiquement confirmé de la bouche même du coupable.  

Deux d’entre eux déclarent :

« Celui-ci a dit : ‘Je peux détruire le Sanctuaire (ton naon)

et le rebâtir en trois jours.’ »

Claire reprise par Jésus de ce que lui, jeune auteur de IV (Jn 2,18-20), pensait déjà présenter, dès le début de sa carrière, comme un signe que réclameraient les autorités religieuses. A la même formule initiale (« moi je détruirai ce sanctuaire »), Mc 14,58bc ajoute, de façon significative : « …lequel a été  fait à la main, et au bout de trois jours j’en bâtirai un autre non fait à la main. » [Plus clairement : « fait de main d’homme … et un autre qui ne sera pas fait de main d’homme ».] D’où une première intervention du Grand-Prêtre, à laquelle Jésus ne répond que par le silence. ‘Au fait !’ a-t-il l’air de dire. ‘Ne perdons pas de temps avec des formalités.’

La question suivante est, par contre, directe d’après les deux versions (même si elle est présentée au style indirecte en Mt) :

« Toi tu es le Christ, le Fils du Béni ? » /

« Je t’adjure par le Dieu vivant de nous dire si tu es, toi, le Christ, le Fils

 du Dieu ! »

Et directe la réponse, d’après Mc 14,62 : « Moi Je Suis ! »

        «  Et vous verrez le fils de l’homme assis à droite de la Puissance

 et venant avec les nuées du ciel ! » /

A peine moins directe – mais tout aussi provocante, d’après Mt 26,64 :

« Toi tu l’as dit !

Seulement je vous dis : à partir de maintenant

vous verrez le fils de l’homme assis à droite de la Puissance

et venant sur les nuées du ciel ! »  

  La volonté de Jésus est de se montrer aussi clair et net, en même temps que provocant que possible, en citant une prédiction du prophète Daniel (Dn 7,13), qui connaîtra une grande fortune. Cela invalide la traduction banale, ‘C’est moi’ de Egw eimi…  Lc 22,66-71 atténue cette volonté provocatrice, mais a le mérite de retarder jusqu’au lever du jour – un différé  nécessaire pour une session légale du sanhédrin – l’instant solennel de la déclaration qui allait aussitôt amener la décision du recours à Pilate, avec, à la clé, l’assurance que serait prononcée la peine capitale. C’est-à-dire, en la circonstance, rendant possible le Jugement-de-Dieu voulu par Jésus.

Telle est, d’entrée, la vérité de cette action divine, d’apparence juridique, d’un point de vue terrestre, mais rendant possible l’action ultérieure visée,  l’ordalie qui sera censée transcender l’action humaine.

  Le chapitre Sept du « Jésus de Nazareth » de J.R.-B.XVI porte le titre :

« Le procès de Jésus ». Titre fallacieux donné depuis toujours à cette partie du récit de la  Passion et qui va orienter dans ladirectionerronée toute l’interprétation future de ce moment hautement historique de la vie de Jésus.

 Ce qu’il faut voir et entendre, une fois pour toutes, a disparu et laissé apparaître à la place, dès lors, la vérité prétextée, la ‘radiographie’ d’une procédure judiciaire. L’acte principal constitutif de ladite arrestation n’a été, avec la blessure infligée à l’oreille de l’esclave du Grand-Prêtre, que l’ombre d’une opération policière et d’une résistance armée. Et voilà que ces apparences se sont imposées à tout notre beau monde, depuis des siècles, alors que Caïphe, lui, disposait déjà d’éléments plus solides – mais sans bien les appréhender, du moins selon notre auteur ; et, pareillement, Pilate. Lequel, grâce à son ami, tenait en main au moins deux cartes qui allaient lui permettre de mener le jeu de l’amnistie octroyée au peuple, verbalement, un an plus tôt.

  Voyons d’abord ce qu’il en est de ‘Sa Sainteté’ le Grand-Prêtre, Hanne, un peu, excusez l’audace ! l’homothétique eschatologique de Benoît XVI.

Grâce à l’indéniable ouverture d’esprit dont le Pape honoraire a fait preuve à l’égard d’un personnage toujours honni en chrétienté pour avoir exigé et obtenu la mise en croix de Jésus, il me sera plus aisé de préciser à la fois ma propre approche de la relation entretenue par les deux personnages de cette portion de l’antiquité judéo-romaine, et mes points de désaccord avec le livre d’avant-garde que, pourtant, j’affectionne pour la sincérité avec laquelle il a exposé sur le sujet l’opinion traditionnelle – surtout celle des Eglises allemandes. (Plutôt que la sienne propre, m’a-t-il semblé…) 

  N’y a-t-il pas en effet une part de naïveté dans les deux questions posées tour-à-tour, en préambule : « Comment en est-on venu à cette arrestation (…) ? Comment en est-on arrivé à livrer Jésus au tribunal du gouverneur romain (…) ? » (P. 195). De mon côté je vais jouer au naïf en demandant : Comment se peut-il que cet homme si intelligent, si intuitif, ait émis avec aplomb et d’entrée de jeu l’idée bancale signalée plus haut : « dans un premier temps, l’apparition de Jésus et le mouvement qui se formait autour de lui avaient visiblement suscité peu d’intérêt auprès des autorités du Temple » ; et : « tout cela semblait être une affaire provinciale, un de ces mouvements qui de temps à autre naissaient en Galilée et ne méritaient pas d’attention particulière ». Ne faudrait-il pas plutôt suggérer que l’attitude flegmatique des autorités n’était visiblement destinée, dans un premier temps, qu’à inspirer à la population le jeu de l’indifférence ? l’imitation de ce jeu-là ? Ce qui, bien sûr, ne devait pas empêcher des prises de contact tenues secrètes. N’est-il pas dit, Mc 3,22, que des scribes étaient descendus de Jérusalem ? Pourquoi donc, sinon pour enquêter, mine de rien, et ainsi rassurer le Romain quant à la vigilance de l’ami Caïphe ? Rappelons que les Scribes, en tant que « spécialistes et interprètes officiels des saintes Ecritures » (X. L.-D., scribe) étaient l’un des groupes représentés au Sanhédrin : à ce titre, ne pouvaient-ils, ne devaient-ils pas entrer en relation avec Hérode et lui suggérer d’adopter, en quelque sorte, une attitude plus conciliante à l’égard des deux chefs, le religieux et le politique, en lui faisant comprendre l’intérêt de ce qui allait se mettre en place à Jérusalem, en vue d’une solution à l’amiable – pour ainsi dire ! – de la crise ouverte par Jésus à l’approche de la prochaine Pâque… Souhaitable pour tous, y compris pour lui-même, l’Antipas, qui depuis des années boudait la Ville Sainte à l’occasion de la grande Fête de Pâque, cette issue tablerait à l’évidence sur la revendication majeure de Jésus en personne, exigeant la tenue du Jugement de Dieu au nom du vicariat prophétique. Dès Mc 3,6, suite à une guérison spectaculaire opérée un jour de sabbat, les Pharisiens de Galilée avaient, avec les Hérodiens, délibéré contre lui [Jésus] pour (savoir) comment ils le feront périr. Ne serait-ce pas, se disaient-ils, en une ordalie, justement, que consisterait le moyen de l’élever et, du même coup, de le supprimer ?   

  Ce Chapitre Sept, dont nous venons de dire qu’il partait d’emblée dans la mauvaise direction d’un procès, donc du thème ‘juridico-politique’, contient pourtant des choses excellentes ; il est vrai, à côté de l’une ou l’autre de moindre valeur. A la jointure des deux sections : « 1. Le débat préliminaire au Sanhédrin », et « 2. Jésus devant le Sanhédrin », nous lisons les lignes suivantes, p. 203, qui illustrent immédiatement cet état de fait :

 « La décision fondamentale pour un procès contre Jésus, prise lors de la réunion du Sanhédrin, fut mise à exécution, avec son arrestation, dans la nuit.

Les deux ‘‘procès’’ contre Jésus, devant le Sanhédrin et devant le gouverneur

romain Pilate, ont fait l’objet d’abondantes discussions jusque dans les plus petits détails de la part d’historiens du droit et d’exégètes. (…) Aujourd’hui on peut considérer comme vraisemblable que, dans le cas de l’audience contre Jésus devant le Sanhédrin, il ne s’agissait pas d’un procès véritable, mais d’un interrogatoire approfondi, qui s’est achevé par la décision de livrer Jésus au gouverneur romain pour la condamnation. »    

  Admirable précision de chaque terme de l’ensemble de ce texte ! Prenant même soin de mettre entre guillemets le deuxième emploi du mot procès, et surtout, portant le fer dans la plaie – ‘là où ça fait mal’ –, en n’oubliant pas même le livrer-Jésus fatidique, la spécialité réservée jusque-là au Douzième Apôtre : elle est désormais léguée « au gouverneur romain pour la condamnation » !

Plus adéquat encore, en un premier temps, serait : ‘pour le Jugement de Dieu’ ! Une audace qu’il eût certes été excessif d’attendre de la part du Pape régnant…

  Pour parvenir à ce résultat, sommet de lucidité qui semble avoir fait défaut à toute l’histoire antérieure de l’exégèse chrétienne – celle inclusivement des Pères de l’Eglise, aveuglée qu’elle a été pendant tous ces siècles par l’antijudaïsme évangélique qui s’appuyait lui-même sur un antisémitisme populaire invétéré, mais si ‘juteux’ sur le plan de l’apostolat – car il fallait de plus en plus convertir le petit peuple païen des grandes villes plutôt que les prosélytes du judaïsme -, J.R.-B.XVI a eu raison de commencer son analyse en partant d’un texte ‘de Jean’, Jn 11,49-53, volontiers ignoré de la liturgie chrétienne jusqu’à nos jours. Pour cause ! Comment en effet aurait-elle prisé un passage qui, bon gré mal gré, faisait l’éloge du Grand-Prêtre en lui attribuant le don de prophétie, même si ce don ne lui était reconnu que du bout des lèvres, par le biais d’une sorte de charisme ‘lié à sa charge de pontife suprême’, – et non à quelque mérite spirituel de sa personne ?!  C’est sans doute aussi cela qui somme le Pape émérite à faire violence à sa nature profonde, lorsqu’il recourt à des formules convenues telles que : « l’intérêt spécifique de la dynastie d’Anne et de Caïphe pour le pouvoir », ou : « l’obsession égoïste du pouvoir de la part du groupe dominant », p. 198 ; ou encore « l’aveuglement égoïste de Caïphe », p. 199. Ne fallait-il pas se demander au moins une fois s’il leur était possible d’agir autrement dans la situation de contrainte où on se trouvait alors, du fait principalement du caractère entier de Pilate ? Du fait aussi – que nul n’ignorait en Judée – qu’il était arrivé à Jérusalem deux à trois ans avant que n’éclate l’affaire Jésus – l’affaire ‘Jean et Jésus’ faudrait-il dire, contre laquelle il existait probablement déjà à Rome de fortes présomptions de complicité entre les deux hommes, voire entre eux et un troisième ‘larron’, le tétrarque de Galilée et… de Pérée ! Ce dernier détail avait son importance, car il s’agissait d’une bande de territoire (je l’ai déjà évoquée plus haut) qui, longeant la rive gauche du Jourdain – la ‘Transjordanie’ au sens propre -, pouvait assurer à d’éventuels séditieux une sorte de base arrière où se réfugier en cas d’alerte. Mais même s’il prêchait la soumission, la conscience professionnelle, le Baptiste n’aurait pu attirer longtemps à lui ces foules  – dont parle notamment Lc 3,7.10 -, sans la garantie d’une certaine protection juridique. Néanmoins on doit se dire que les pèlerins devaient de plus en plus multiplier les précautions à mesure que l’année avançait et, avec elle, l’irritation du gouverneur-procurateur d’assister, impuissant, à tant de va-et-vient. Car les déplacements ne s’opéraient plus que par petits groupes qui s’ingéniaient à varier les itinéraires suivant une technique éprouvée de longue date dans l’histoire biblique. Quittes, d’ailleurs, à les rallonger de plus en plus pour rejoindre le lieu où Jean baptisait… Lui-même et ses disciples ne devaient-ils pas parfois prendre des précautions ?   

  Devant cet état de fait, Rome était aussi amenée, en la personne de son légat de Syrie, à accentuer, de mois en mois, la pression sur celui qu’elle avait expressément mandaté – nous pouvons tranquillement nous en convaincre, malgré l’absence (du reste louche !) de tout document officiel à ce sujet à ce qu’il veille au maintien de l’ordre le plus strict dans cette ‘‘Provincia semper turbulentissima’’. Telle était en effet la solide réputation de la Province de Syrie. N’est-il pas étrange, dans ces conditions historiques avérées, que J.R.-B.XVI, notre excellent auteur qui ira jusqu’à se faire, en conclusion de ce chapitre capital pour la bonne saisie du personnage de Pilate, l’avocat d’un ‘homme de conscience’, n’ait à aucun moment posé la question du rôle et de l’influence de celui qui l’avait nommé à son poste, Lucius Aelius Seianus ? Le nom du préfet du prétoire à Rome, resté seul maître de l’Empire à partir des années 27-28, n’apparaît tout simplement jamais dans ce plaidoyer, ni du reste dans l’ensemble du livre. Or ce Séjan était déjà un antisémite notoire lorsque le nouveau Préfet, choisi par lui, débarquait à Césarée. De quelles instructions celui-ci était-il muni quand il fit son entrée fracassante dans Jérusalem avec sa cohorte, toutes armes et étendards déployés ? Ne cherchait-il pas déjà la provocation ?

  Mais venons-en à cette page malaimée, comme cela a été dit, et que nous voulons citer pour cette raison même. Bien sûr aussi parce qu’elle constitue, en quelque sorte, l’épicentre historique de cet évangile de la jeunesse géniale de Jésus, qui mérite ainsi qu’on lui fasse une place à part dans le commentaire des récits de la Passion.  

Jn 11,45-53 :

45. Beaucoup donc d’entre les Juifs, eux qui sont venus auprès de Marie (à Béthanie, à

  l’occasion du décès de Lazare) et ont été les spectateurs de ce qu’il fit, ont cru en

  Lui.

46.Or certains d’entre eux se sont en allés auprès des Pharisiens et leur ont dit ce

   qu’il a fait, le Jésus.                                                                               

47. Ils ont donc, les grands prêtres et les Pharisiens, rassemblé un conseil et ils ont

   dit : ‘‘Que faisons-nous, car cet homme-là, il fait beaucoup de signes !

 48. ‘Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et ils viendront, les Romains,

   et ils supprimeront et notre Lieu (saint) et notre nation.’’  

[De cette « réunion préalable du Sanhédrin », située avant ‘le dimanche des Rameaux’ et dont on a un vague écho chez les Synoptiques (cf. Mt 26,3 et //),

41

J.R.-B.XVI fait un commentaire très juste, qu’il faudrait relire en entier (de la p.196 à la p.199) ; je n’en relèverai que les phrases les plus typiques que voici :

 « Selon Jean, se trouvent réunis ensemble les chefs des prêtres et les pharisiens, les deux groupes, opposés sur bien des points, qui dominaient dans le judaïsme (…). Leur préoccupation commune (…) » est exprimée au v. 48. « On est tenté de dire que le motif pour agir contre Jésus a été une préoccupation politique où, en partant de points de vue différents, l’aristocratie sacerdotale et les pharisiens se sont rejoints ; mais cette façon de voir dans une perspective politique la figure et l’œuvre de Jésus met en évidence une méconnaissance de ce qui, en lui, était justement essentiel et nouveau. (…). Dans l’ordre qui était jusqu’alors en vigueur (…), les deux dimensions, politique et religieuse, étaient (…) absolument inséparables (…). Le Temple, la Cité sainte et la Terre sainte avec son Peuple n’étaient pas des réalités purement politiques, mais elles n’étaient pas davantage des réalités seulement religieuses. (…). »

[Belle et juste insistance ! Je reviendrai en temps opportun sur ce qui est dit au paragraphe central, p.198.]

 « (…) Par son annonce et, avec tout ce qu’il a accompli, Jésus a inauguré un règne non politique du Messie et commencé à détacher l’une de l’autre ces deux réalités qui jusqu’alors étaient inséparables. (…) cette séparation entre politique et foi, entre peuple de Dieu et politique, appartenant à l’essence de son message, n’était possible, en définitive, qu’à travers la Croix : c’est seulement à travers la perte réellement absolue de tout pouvoir extérieur, à travers le dépouillement radical de la croix, que la nouveauté devenait réalité. C’est seulement par la foi au Crucifié, en celui qui est privé de tout pouvoir terrestre et est ainsi élevé, qu’apparaît aussi la nouvelle communauté, la nouvelle manière par laquelle Dieu règne dans le monde. »

  J.R.-B.XVI conclut son commentaire de la 1ère partie du texte en ces termes : « Or ceci signifie que la Croix répondait à un « il faut divin » et que Caïphe, par sa décision, devint finalement l’exécuteur de la volonté de Dieu, même si sa motivation personnelle était impure et conforme, non point à la volonté de Dieu, mais à ses propres visées. »

  Lisons maintenant la suite de ce texte décisif,  Jn 11,49a-53 :

49a. Or, l’un d’entre eux, un certain Caïphe, étant grand-prêtre en cette année-là,

 leur dit :

49b-50. « Vous, non, vous ne savez rien ! Non, vous ne calculez même pas que votre intérêt commande qu’un seul humain meure pour le Peuple ! Et que la nation ne périsse pas tout entière. »    

51. Or cela, il ne le dit pas de lui-même, mais étant Grand-Prêtre, cette année-là,

 il prophétisa que Jésus allait (était sur le point de) mourir pour la nation ;

52. et non pas pour la nation seulement, mais pour que même les enfants du Dieu,

 les dispersés de force, soient rassemblés en UN (= dans l’unité) !

53.  A partir donc de ce jour-là, ils prirent la résolution de le faire mourir.

   Voici quelques explications concernant ma traduction des vv.52 ; 49 ; 50 :

 V.52 : le verbe composé, au participe parfait passif ‘dispersés’, di-eskorpismena , accordé au nom neutre pluriel ta tekna « les enfants », et suivi du complément ‘de force’, vise à rendre la violence de cette dispersion, car le radical de ce verbe est formé sur le nom ‘scorpion’ ; adopté aussi en latin, il désignait, outre l’insecte venimeux, une machine de guerre permettant de lancer des pierres ou des flèches de gros calibre ; en grec, le préfixe di(a)- , qu’on rencontre aussi dans le mot ‘diaspora’, « semée dans/pour la dispersion » accentue encore la force expressive et imagée de ce verbe composé ;

 V.49 : je vois que je suis seul à essayer de rendre l’enclitique ‘tis’ par ‘un certain’ / ou par ‘peut-être’, pour marquer l’indétermination : ici, on aurait un nouvel indice d’une prédiction faite longtemps avant l’arrivée de l’événement. De fait, on sait que Caïphe partageait la dignité de Grand-Prêtre avec son beau-père Anne dès l’an 18, donc bien avant l’entrée en scène de Jésus.

 V.49b-50a : C’est surtout ce segment qui pose un problème d’interprétation, du fait que deux solutions semblent possibles ici, selon qu’on veut voir ou deviner dans la bouche de Caïphe l’expression de la colère, ou autre chose : le Pontife serait furieux d’avoir été contraint par la coalition imprévue des grands-prêtres et des Pharisiens à réunir et à présider une assemblée du Sanhédrin ; toutefois, sans exclure totalement cette façon d’apprécier la situation, je pense que si l’on tient compte de ce qui allait se passer réellement, peu de temps plus tard, on doit aussi admettre que l’idée que suggère ma traduction apparaît plus vraisemblable, à savoir que la formulation de la phrase de Caïphe correspondait chez lui (ou en général chez les présidents de séance ?) à une coutume, celle d’inviter les membres de l’assemblée, dans le cas où ils auraient à délibérer dans le secret, à respecter de la façon la plus stricte le silence concernant la ou les décisions prise(s). Motus et bouche cousue,  pour dire les choses d’une formule familière, qui fut peut-être confirmée d’un geste de la main ou du doigt posé sur les lèvres.

  Nous pouvons maintenant passer aux belles explications du ‘vicariat prophétique’ que formule J.R.-B.XVI (dernières pages de la section n° 1 : p.200-203 (Seite 195-6 de l’original). Veuillez m’accorder encore, Cher Pape François, un peu de votre attention, même si cette suite ne devait rien vous révéler que vous ne connaissiez déjà. Je tiens à citer ici quelques passages qui éclaireront nos lecteurs sur cette part essentielle des prophéties bibliques. Parmi lesquelles, bien sûr, figure, « pleinement développée en Isaïe 53, l’image du Serviteur souffrant de Dieu », mais aussi, déjà annoncée par Moïse lui-même : cf. Ex 32,32.

 Veuillez aussi ne pas vous offusquer si, occasionnellement, j’introduis, à partir de l’original allemand, des essais de traduction personnelle, avec l’intention d’améliorer l’officielle sur certains points particuliers. Ils seront signalés par l’astérisque *.    

 « Le contenu de la ‘prophétie’ de Caïphe est tout d’abord de nature entièrement pragmatique et, sous cet angle, il a pour lui* une justesse  immédiate : si, par la mort d’un seul homme (et seulement ainsi*), il est possible de sauver le peuple, la mort de cet individu est un moindre mal et la voie, du point de vue* politique, apparaît juste. Mais ce qui n‘a ainsi qu’une résonnance* et compréhensibilité* pragmatiques, atteint en fait, à partir* de l’inspiration prophétique, une tout autre profondeur. Jésus, l’unique, meurt

pour le peuple : le secret* de la fonction-vicaire s’éclaire, qui est le contenu le plus profond de l’Envoi* de ‘Jésus’.

 « L’idée de fonction vicaire est diffuse dans toute l’histoire des religions. De multiples façons*, on s’efforce de détourner du roi, du peuple, de sa propre vie, la menace du malheur, en la transférant sur des substituts. Le mal doit être expié et ainsi doit être rétablie la justice. Mais on fait tomber sur d’autres la punition, le malheur inéluctable et l’on cherche ainsi à se libérer. Pourtant, cette substitution, par le biais de sacrifices d’animaux ou même humains reste en dernière analyse sans consistance crédible*. Ce qui est alors offert en représentation n’est qu’un succédané de ce qui est proprement personnel et ne peut en aucun cas prendre la place de celui qui doit être sauvé de cette façon. Le succédané n’est pas une représentation dans le sens de la fonction vicaire, et pourtant l’histoire entière est en quête de Celui qui peut véritablement intervenir pour nous ; Celui qui est véritablement capable de nous prendre en lui et de nous introduire ainsi dans le Salut. »    

  J’interromps cependant ici ces citations du beau et grand livre, bien entendu en souhaitant qu’elles aient donné aux lecteurs l’envie de lire en outre les trois ou quatre derniers paragraphes qui évoquent, notamment comme sa finalité ultime, l’unité eschatologique du monde des croyants. J’ai hâte d’en venir à ce qui constitue mon interprétation propre du rôle de Ponce Pilate dans toute cette affaire du jugement et de la condamnation à mort de Jésus Christ.

 Passons donc à la rencontre ‘officielle’ de Jésus et de son ‘juge’. A leur ‘mise en présence’ réciproque… A leur face à face décisif, son début au moins, qui sera au mieux symbolisé par le partage, d’abord partiel, de la page suivante en deux colonnes :  

(Parallèlement et dans cet ordre : Mc 15,1-5 et Mt 27,1-2.11-14)

[Quant à la suite du ‘procès’ et du récit de la passion selon respectivement I et II, il sera présenté un peu plus tard en deux colonnes complètes.]

Mc 15,1-2.3-5 :                                              Mt 27,1-2. 11-14 :                                        

1. Et aussitôt, le matin, ayant préparé           1. Or le matin venu, ils tinrent un conseil    un conseil, les grands-prêtres avec les                          tous les grands- prêtres et les Anciens Anciens et les Scribes et tout l’ensemble         du Peuple contre  le Jésus, en sorte de du Sanhédrin, ayant ligoté le Jésus,                               le faire mourir.

le transportèrent et le livrèrent  à                        2. Et l’ayant ligoté, ils l’emmenèrent et le

Pilate.                                                              livrèrent à Pilate, le préfet.

                                                                                              [3-10 : ‘Désespoir et suicide de Judas.’]

                                                                                              11. Or le Jésus fut placé debout face au

2. Et il l’interrogea, le Pilate :                           préfet ; et il l’interrogea, le préfet,    « Toi, t’es le roi des Juifs ?! »                                                         disant : « Toi, t’es le roi des Juifs ?! »

Or Lui, il lui dit en  réponse :                          Or le Jésus dit : « Toi, tu  l’as dit ! »  « Toi, tu le dis ! » /…                                                                        12. Et alors qu’il était accusé par

3. Et ils l’accusaient, les grands-prêtres,         les Grands-prêtres et les Anciens,      

  de beaucoup de choses.                                il ne fit aucune réponse.

4. Or le Pilate  de nouveau l’interrogeait :    13. Alors il lui dit, le Pilate :

  « Non ! tu ne réponds rien ?                               « Non ! tu n’entends pas tout ce

  Vois tout ce dont ils t’accusent ! »

                                                                            dont ils témoignent contre toi ? »

5. Or le Jésus ne répondit plus rien,              

  en sorte que le Pilate s’étonnait.                         14. Et il ne lui répondit pas même sur

                                                                          un seul point, en sorte que le préfet

                                                                           s’étonnait  fort.

Mon commentaire succinct.   

  La lecture des deux textes révèle un parallélisme quasi parfait, malgré l’intermède de la mort de Judas qui ne fait qu’interrompre un instant le fil du récit. Celui-ci est facilement retrouvé au v.11 de Mt 27. Pourtant on peut se demander si l’épisode lugubre du suicide du Douzième Apôtre n’a pas été placé à cette intersection pour créer un choc psychologique et faire oublier, voire oblitérer le contraste potentiel entre deux verbes proches de sens et cependant éloignés l’un de l’autre du fait que le premier, présent en II seulement, satisfaisait la curiosité du lecteur, tandis que l’autre, en I, semble neutre, passe-partout. En tout cas, si l’on en juge d’après les traductions agréées, on constate que c’est ce dernier, ‘emmener’, qui a été partout retenu, à une exception près, celle d’André Chouraqui. L’excellent linguiste a mis ‘transporter’, car tel est bien la signification du verbe apophérô, figurant dans tous les manuscrits. Les exégètes justifient sans doute le choix du verbe pâlot, justement par le goût, jugé excessif, de ‘Marc’ pour le pittoresque. Ou est-ce plutôt par docilité aux injonctions ecclésiales qu’ils se rendent aveugles à ce qui pourrait, en ‘Matthieu’, soutenir le sens du ‘transportèrent’ marcien (v.1), mais également effacé du fait d’un second faux-sens infligé au verbe estaqh, aoriste passif de isthmi, en Mt 27,11 ? On aurait donc, ici encore, cédé au thème juridique et mis (ainsi Crampon, Osty et TOB) ‘‘il comparut’’ devant (..,), ce qui faussait une fois de plus la perspective générale. Ou, à peine moins graves  (BiJér) : ‘il fut amené en présence’ du gouverneur ; ou encore (A.Ch.) : ‘il se tient devant’ (le procurateur).  En réunissant ces deux verbes, l’un de II, ‘transporter’ / ‘emporter’), l’autre de I, ‘être mis debout’, un brin d’imagination permettait de voir la scène haute-en-couleur, celle de deux, éventuellement quatre esclaves – de préférence à des serviteurs ! – qui, après avoir manipulé rudement le prisonnier, et l’ayant ficelé du haut en bas dans sa tunique, l’arriment sur le dos d’une mule et, à l’arrivée devant le tribunal, le jettent sans ménagement sur le sol dallé et, de quelques coups de pied, le font rouler jusqu’aux pieds du juge (ce dernier trait déjà suggéré par ce qui était dit en Jn 18,28c…)

  La suite, ce ne serait plus leur affaire, mais celle d’un centurion stylé, car dès ce début il s’agissait certainement, pour le Romain, de faire montre de la différence de traitement venant de la part d’un esprit ‘évolué’…, même si c’était encore une autre façon de provoquer, en le moquant, le dieu unique des juifs.

  D’évidence, l’innovation la plus frappante concerne la question que, de but en blanc, Pilate pose à Jésus. Au XVIIe Siècle, il était censé demander à Jésus : « Êtes-vous le Roi des Juifs ? » alors que déjà Luther était passé, un siècle plus tôt, au tutoiement : « Bist-du der König der Juden ? » Les Allemands, qui sont souvent à l’avant-garde du progrès, aujourd’hui, dans ce domaine du religieux, d’une religion officielle ouvertement professée, retardent. La TOB, d’inspiration protestante, dit toujours, comme Crampon au début du XXe  Siècle (mais aussi comme notre liturgie de la Semaine Sainte le fait encore) : « Es-tu le roi des Juifs ? » Avec la Bible dite de Jérusalem, datée ‘octobris 1955’ et dotée de toutes espèces d’imprimatur, s’amorce une très subtile évolution de la quadruple question : « Tu es le roi des Juifs ?’ (Jn 18,33.37 ; de même Mt 27,11c ; Mc 15,2b ; Lc 23,3b). Enfin, à peu près simultanément, Osty et Chouraqui éditent leurs traductions respectives du Nouveau Testament, et l’un et l’autre ils introduisent une nouveauté remarquable, en ce sens que, pour la première fois, le pronom personnel (Su ei … Toi, tu es…) est pris en compte : « C’est toi qui es le roi des Juifs ? » (Osty) et, moins franchement, vu la double traduction proposée, l’une pour Jn et Mt : « Toi, es-tu le roi des Juifs / des Iehoudîm ? » et l’autre pour Mc et Lc : « Toi, tu es le roi des Juifs / des Iehoudîm ?! » La première pose toujours simplement la question : on ne remarque pas d’inflexion significative. Mais la seconde laisse planer comme un doute concernant la possibilité de la chose, tellement le contraste semblait trop fort entre l’aspect risible de l’individu, la façon cocasse dont il était présenté au juge, et l’importance de la dignité royale qu’il prétendait revêtir. L’intention évidente d’en rire un bon coup est dès lors sous-jacente ; et surtout, à travers lui, c’est le peuple tout entier qui est visé. Jésus ne se fait d’ailleurs aucune illusion à ce sujet ; sa réponse à Pilate, telle que les synoptiques sont censés la  rapporter, à l’unanimité, est hautaine, tout à l’opposé de celle qui se lit chez ‘Jean’ ; et hautain le silence qu’il observe ensuite avec obstination.  

  Signe d’hésitation d’A. Ch., cette dernière façon de rendre la question paraît vouloir faire entendre comme un dièse, un demi-ton d’incrédulité. Les traducteurs restent obnubilés, l’un et l’autre, l’un un peu moins que l’autre, par le point d’interrogation (;), oubliant que le grec ancien ne disposait pas du signe spécifique de l’exclamation susceptible de laisser transparaître, de la part du juge, envers l’accusé, des préventions telles que : estime ou mépris, sympathie ou hostilité… Autant d’affects indiquant déjà de quel côté risquait de pencher le plateau de la balance. En l’occurrence, un verdict d’acquittement ou au contraire de culpabilité.

  Pourtant la prise en compte du pronom personnel « Toi », toujours ignoré jusque-là, devait logiquement les mener à la prise en compte d’affectations du juge que la simple recherche de la vérité par un questionnement ne devait pas comporter, devait même bannir d’une enquête judiciaire conduite avec rigueur, au moins en son tout début. On peut donc dire qu’il y a eu, d’entrée de jeu, théâtralisation de la part du gouverneur qui voulait se mettre en vedette, abonder dans le sens de la provocation dont les protagonistes juifs lui avaient déjà fourni l’exemple – non point qu’il y crût personnellement, à la puissance de leur dieu unique, mais parce que son but à lui était d’infliger à cette multitude qu’il détestait une humiliation qu’elle n’oublierait pas de sitôt.   

  Ce que nous deux, Vous Saint-Père et moi, humbles serviteurs du Dieu Esprit de Justice et de Miséricorde, Souffle d’amour et de réconciliation, devons obtenir à présent, c’est que cette « Lettre ouverte au Pape François » soit vraiment ouverte au monde entier, en sorte qu’elle surprenne et frappe d’étonnement tous les peuples de la Terre, ceux de l’Europe en primeur, pour qu’ils reconnaissent tous, enfin, la puissance de ce Dieu Spirituel dans la merveille de l’Ordalie, véritable Jugement où notre Créateur et Souverain unique intervient (pour une ultime fois ?) dans l’Histoire sainte du Monde.

Mais voici la suite du fameux tête-à-tête ; et, d’abord,

cette entrée en scène – virtuelle ! –  d’un personnage

 sur lequel on a beaucoup glosé :

Successivement : Mc 15,6-7 ; Mt 27,15-16 :

  • A chaque fête [de Pâque], il leur relâchait un enchaîné / un captif, celui qu’ils réclamaient. Or il y avait le nommé Barabbas enchaîné avec les émeutiers qui, lors de l’émeute, avaient fait / avaient commis un meurtre.  
  • [Même début] (…) le préfet avait l’habitude de relâcher à la foule un captif, lequel elle voulait. Or on avait alors un captif remarquable, appelé Barabbas / Jésus Barabbas.

 « De nombreux manuscrits omettent le mot Jésus devant Barabbas », note la TOB. La précision ‘Jésus’ est aussi contestée par la BiJér et A. Chouraqui ; Osty n’y fait pas allusion. Peu importe en définitive.

  Pour nos lecteurs futurs, non-chrétiens (ou / et pour des chrétiens qui auraient oublié le détail du récit évangélique), j’aimerais encore citer ici

quelques lignes de J.R.-B.XVI qui auront, en même temps, le mérite de leur expliquer la lecture classique qu’on fait de ce passage particulier appelé ‘l’amnistie pascale’, toujours dans la perspective du procès et du droit romain.

  Dans la section 3 intitulée « Jésus devant Pilate », p.213-4, notre auteur de référence se pose « avant tout cette question  :  Qui étaient précisément les accusateurs ? Qui a insisté pour que Jésus soit condamné à mort ? » Pour notre part, nous avons déjà compris que ces questions ne se posent plus, parce que inadaptées, voire inconvenantes. Pourtant, J.R.-B.XVI estime que « dans les réponses des Evangiles, il y a des différences sur lesquelles nous devons réfléchir ». Puis, ayant noté que « selon Jean, ce sont simplement ‘‘les Juifs’’ » – c’est-à-dire « l’aristocratie du Temple » -, il passe à II : « En Marc, dans le contexte de l’amnistie pascale (Barabbas ou Jésus !), le cercle des accusateurs apparaît plus large : voici que l’‘‘ochlos’’ fait son apparition* qui opte pour la relaxe de Barabbas. » (C’est-à-dire la foule, la masse, la plèbe, etc.)

 «  En tout cas, par ce mot, ce n’est pas le ‘peuple’ des Juifs qui est désigné comme tel. A l’occasion de l’amnistie pascale (qu’en réalité nous ne connaissons pas par d’autres sources mais dont il n’y a pas de raison de douter), le peuple – comme cela était d’usage pour d’autres amnisties – a le droit de faire une proposition manifestée par ‘acclamation’ : en ce cas, l’acclamation du peuple a un caractère juridique (…). En ce qui concerne cette ‘masse’, il s’agit en fait des défenseurs de Barabbas qui se sont mobilisés pour l’amnistie ; en tant que rebelle d’une révolte contre le pouvoir romain, il pouvait naturellement compter sur un certain nombre de sympathisants. Les partisans de Barabbas étaient donc là, la ‘masse’, tandis que les adeptes de Jésus, apeurés, restaient cachés ; c’est ainsi que la voix du peuple sur qui le droit romain comptait était représentée de manière unilatérale. En Marc donc, à côté des ‘Juifs’, c’est-à-dire les cercles sacerdotaux qui font autorité, entre en jeu effectivement l’ochlos, le groupe des partisans de Barabbas, mais pas le Peuple juif comme tel. »

  Voilà une argumentation habile, depuis longtemps pratiquée en exégèse pour tenter de donner un sens à cette ‘amnistie pascale’ soudain tombée du ciel ; mais pas moins spécieuse pour autant. Car comment admettre, notamment, que ladite foule dont parle Mc n’ait été composée que de partisans de Barabbas ? La veille encore, une dizaine de jours à peine avant la Pâque, une foule d’adeptes suivait Jésus, l’acclamait ! Certes, les Douze se cachaient, par peur des Juifs, selon la formule trop bien rodée en Jn, mais la grande masse des Galiléens, elle, composée de pauvres venus avec lui et à sa suite, devait, malgré tout, vouloir la sauvegarde de leur prophète : nous devons en faire le pari, parce que nous nous laissons guider  par l’Esprit de vérité qui veut, aujourd’hui, nous faire accéder à la vérité entière (Jn 16,13). Et celle-ci porte un nom : ordalie, laquelle, en langage biblique-évangélique, s’appelle le Jugement de Dieu. Voulu par Jésus lui-même, parce que faisant partie, à ses yeux, de ces textes qui le concernaient, qu’il devait donc accomplir, avec beaucoup d’autres, pour que sa mission réussisse et apparaisse réellement  homologuée par Dieu même dans la Résurrection de son Fils.     

  Cette page se lit au chapitre 5 du Livre des Nombres (vv.11-31). La BiJér l’intitule  ‘L’oblation de jalousie’. Page assez longue et complexe à cause des explications du thème (une épouse soupçonnée d’adultère par son mari, soit à tort, soit à raison, mais sans qu’un témoin ou deux puissent attester de l’innocence ou de la culpabilité de la femme) ; et aussi à cause des rites à observer par le prêtre officiant (pour obtenir une réponse censément dotée d’un haut degré de fiabilité) : j’y renvoie nos lecteurs et les invite à en prendre connaissance, mais en gardant bien à l’esprit le symbolisme attaché à une Loi – car c’était une prescription de la Torah ! – qui visait avant tout à rappeler au Peuple la comparaison que lui appliquaient les prophètes, surtout Osée, selon laquelle il était l’Epouse même de Dieu ! Epouse souvent infidèle, mais qui avait ainsi, par l’offrande de sa personne, la possibilité de se racheter, de se purifier. Jésus, lui, s’est considéré comme incarnant de façon suprême le Peuple pécheur tout entier, mais aussi les nations, encore plus grandes pécheresses, qu’il lui fallait enfin sauver de leur mortel péché, qui était leur ignorance du vrai et unique Dieu.

  Or le mot de phthonos employé par Pilate est ambivalent, pouvant signifier jalousie, ou envie, selon la personne qui l’emploie ! Il apparaît une seule fois dans l’Evangile, et cela en pleine Passion ; qui, plus est, dans la bouche de Pilate. Ambiguïté assurée autant d’après Mt 27,18 que d’après Mc 15,10 : des explications de Caïphe à Pilate, qu’est-ce que ce dernier allait en effet comprendre et retenir ?    

Car il [Pilate] savait que par envie ils l’ont livré / on l’a livré.

Car il se rendait compte que par envie (les grands-prêtres) l’avaient livré.

  Jalousie plutôt qu’envie, de notre point de vue qui comprenons que le Dieu jaloux avait besoin du témoignage de Jésus acceptant, par amour pour son Père, de mourir sur une croix ; ou bien faut-il aller jusqu’à imaginer de la part du Dieu de la Transcendance une passion ‘follement amoureuse’ pour son Peuple au point d’être jaloux du chérissement que celui-ci vouait à son Fils ? Ce qui est sûr en tout cas, en un sens purement pragmatique, c’est que l’autosacrifice du Christ acceptant la mort sur la croix représentait pour lui le seul moyen d’entrer dans sa gloire, comme il est dit en IV, puis aussi de rebondir, tôt ou tard, par la Résurrection, le Troisième Jour, – administrant par-là même aux Juifs du monde entier ce Signe qu’ils réclamaient depuis toujours de leur Souverain-Bien. Pilate, en revanche, faut-il le préciser, n’y croyait absolument pas, à la  potentialité d’un Unique Tout-puissant. Pour lui, en Latin qu’il était, ce mot ambivalent de phthonos signifiait forcément ‘envie’ : l’invidia des deux Grands-Prêtres donc qui, en tant que chefs politiques obligés, voudraient jouir de la même popularité que Jésus, le nouveau-venu, alors qu’eux-mêmes, en charge des affaires courantes depuis des années et sans vraie prise sur la réalité, devaient composer avec le représentant de Rome. D’où l’amitié plus ou moins sincère de Caïphe pour ce dernier qui, sans doute, n’était pas dupe. En cette formidable circonstance, je pense pourtant qu’ils se sont accordés et ont préparé, dès l’année d’avant, ou, au plus, les deux années précédentes, l’aboutissement de toute l’affaire. D’où l’invention de l’idée d’une coutume qui serait respectée par la suite… Promesse en l’air, bien entendu !

  Voyons ce qui plaide en faveur de cette thèse. D’abord, argument de base, l’amitié affichée des deux hommes. On sait qu’elle était de notoriété publique. Le premier s’en est donc réclamé pour entretenir son quasi-collègue de ce qui se tramait dans la Galilée d’Hérode Antipas ; et, à vrai dire, de ce qui s’était déjà ourdi une première fois sous Hérode le Grand, une quarantaine d’années plus tôt…

A ce sujet je vais rappeler l’existence d’un livre auquel j’ai déjà renvoyé dans l’un ou l’autre de mes essais antérieurs.

Cet ouvrage, dont le titre ‘‘L’Autre Messie’’ avait immédiatement attiré mon attention, est l’œuvre de l’un des érudits admirables qui déchiffrent les manuscrits de la mer Morte. Israël KNOHL est – était ? – Professeur au Département biblique de l’Université hébraïque de Jérusalem. Comme il le dit de lui-même dans sa Préface, p.9, il travaille en « solitaire qui nage à contre-courant contre un siècle d’études universitaires » (‘3 ou 4 siècles’ serait plus exact !). Autrement dit, il parle, de son côté et à sa façon, en prophète incompris ! Vous comprendrez, Cher Pape François, que je tiens à retranscrire ici quelques extraits de son ouvrage, car il me semble qu’ils confirment par la voie scientifique – et d’abord grâce à la providentielle découverte faite après la Seconde Guerre mondiale par un jeune berger sur le site de Qumran -, cette intuition qui m’a plongé dans la lecture sans cesse reprise en français, en grec, un peu en latin, aussi en allemand, des Quatre Evangiles.                     

  « Ces dernières années, certains ont affirmé que la publication des rouleaux était délibérément repoussée en raison de pressions exercées entre autres par le Vatican. L’argument étant que le Vatican souhaiterait reporter cette publication par crainte que le matériau contenu dans certaines parties des rouleaux ne soit préjudiciable à l’unicité du personnage de Jésus.  (…) D’une certaine façon, mon livre semble abonder dans le sens de cette protestation ; en effet, sur la base de quelques fragments publiés récemment, je tente de démontrer que Jésus était considéré comme l’héritier et le successeur du Messie décrit dans les rouleaux de la mer Morte. »

  Dans son Introduction, pp.15-18, Israël Knohl a des formulations qui, peut-être, montrent qu’il se préoccupe surtout de souligner la dette que Jésus aurait contractée, en quelque sorte involontairement, vis-à-vis de cet Autre Messie qui a finalement échoué dans son entreprise. Ce faisant, le docte chercheur juif témoigne que sa connaissance de l’originalité de la personne et de l’œuvre de Jésus n’est sans doute pas allée au-delà de ce qu’il savait par l’Exégèse historico-critique. Mais de cela, on ne saurait lui faire grief ! Bref, je vais encore citer ici (en les soulignant dans leurs  contextes) l’une ou l’autre formule qui m’avaient déjà marqué au temps de mes propres recherches exégétiques.  

 « Selon les évangiles synoptiques, Jésus n’a jamais affirmé lui-même être le Messie, mais a, au contraire, demandé aux siens qui auraient voulu l’appeler ainsi de n’en pas faire une révélation publique, créant lui-même, de la sorte, un secret messianique. »

 « Dans certains des hymnes trouvés parmi les manuscrits (…) publiés récemment, ce Messie antérieur se décrit lui-même, siégeant sur un trône céleste entouré d’anges. Il se voyait lui-même comme le ‘‘Serviteur souffrant’’ qui fait advenir une nouvelle ère, l’âge de la rédemption et du pardon dans lequel le péché et la culpabilité n’ont plus de place. Ces idées audacieuses conduisirent à son rejet et à son excommunication  par les sages pharisiens emmenés par Hillel. Ce Messie fut, en fin de compte, tué à Jérusalem et son corps laissé dans la rue pendant trois jours. Ses disciples crurent qu’il était ressuscité après trois jours et avait rejoint le ciel. L’humiliation, le rejet et le meurtre du Messie provoquèrent une remise en cause de la foi de ses adeptes. Afin de trouver une solution à cette crise, ils repérèrent des passages de la Bible qui pouvaient être entendus comme prophéties de l’humiliation et de la mort du Messie. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire du judaïsme, la conception d’un messianisme ‘catastrophique’ vit le jour. (…) Le héros de notre livre, ce Messie assassiné, constitue le chaînon manquant qui nous permet de comprendre la manière dont le christianisme est issu du judaïsme. Jésus est né à peu près au moment où ce Messie est mort. La personnalité messianique de Jésus devient plus explicite si elle est mise en relation avec la vie et la mort de ce Messie. La reconstruction de l’histoire du Messie assassiné nous permet, pour la première fois, de donner un arrière-plan historique aux récits faisant état de la conscience messianique de Jésus dans le Nouveau Testament (…) »      

(Ibidem, Introduction)

  Sur le chemin que ce ‘faux-prophète’ (d’après la définition classique du succès comme preuve d’authenticité prophétique) lui a ouvert, puisqu’il a certainement été pour Jésus un de ces justes évoqués entre autres en Mt 23,29-35 et dont l’exemple a pu contribuer à l’éclairer sur sa propre méthode à suivre, le Fils de l’homme n’allait indubitablement pas se lancer en aventurier. Il lui fallait, cette fois, par rapport à ‘l’Autre Messie’, une génération avant, réussir à coup sûr ! Et, pour commencer, il ne se laisserait pas assassiner. Dans la péricope du Bon berger, il le dit expressément (cf. Jn 10,14-18) :

« Et mon âme [=  ma vie] je la dépose pour les brebis. (…)

C’est pour cela que le Père m’aime :

parce que moi je donne mon âme,  pour que je la reprenne !

Nul ne me l’enlève, mais moi je la dépose de moi-même.

La TOB utilise le verbe ‘se dessaisir de’, et ce verbe me convient car avec ses trois syllabes, il a une ampleur analogue à celle du grec tiqhmi suivi de apo- et du génitif. Impossible donc de ne pas le voir quand, en outre, il est répété cinq fois dans le même contexte immédiat ! Alors je le prends à mon compte et hardiment j’affirme à sa suite :

C’est un pouvoir que j’ai : m’en dessaisir !

Et c’est un pouvoir que j’ai : la reprendre à nouveau ! »

Tel est le commandement que j’ai reçu de mon Père. »

  Peut-on dès lors m’accuser d’inventer, quand le Souffle-Esprit me fait dire en particulier ceci : Ce Judas Iscariote en qui vous-autres Chrétiens n’avez voulu voir que le traître par excellence – et souvent en lui assimilant tous ses coreligionnaires –  était son compagnon de totale fidélité ? Qui lui rendait tous les services, petits et grands, dont il avait besoin ? (Voir ce qui a été dit plus haut des ‘réseaux’ dont il pouvait disposer.) Et s’il s’est finalement donné la mort, c’est parce qu’avec la disparition de son meilleur ami – et frère de tous ses combats -, il n’avait plus de raison de vivre. Et n’était-il pas obligé de disparaître de la scène d’un monde qui allait se christianiser assez vite, partiellement au moins, dans un premier temps, car lui savait tout de Jésus.

Concrètement cela signifie donc aussi et surtout que c’est lui qui menait les discussions avec Caïphe, et ce dans le plus grand secret. Entre autres, nous y revenons, sur l’affaire de ‘l’amnistie pascale’.

 Voici comment celle-ci a toute chance de s’être ‘goupillée’. Je souhaite, Saint-Père, que nous tombions d’accord sur ce point important.

  Dès l’an 28 de notre ère, le dénommé Barabbas, arrêté au cours d’une récente émeute, avait été mis en prison par mesure conservatoire. En tant que meurtrier avéré, il aurait dû être exécuté vite fait ; s’il ne l’a pas été, c’est que les deux chefs en avaient décidé autrement, et ce, d’un commun accord. Pilate avait cependant tenu à ce qu’il fût gardé dans l’Antonia, la forteresse d’où la cohorte de surveillance permanente de Jérusalem exerçait son droit de regard jusqu’à l’intérieur du ‘‘Parvis des Gentils’’.

Caïphe, quant à lui, avait suggéré à son ami que le prénom de ‘Jésus’ lui fût adjoint sur le cadastre carcéral, non seulement en vue d’une identification rapide, le moment venu, mais aussi de façon à établir, aux yeux de l’administration centrale, une quasi-similitude entre… ‘criminels’ : si l’un et l’autre se voulaient « Fils du Père » (= Bar-Abbas), ils étaient tous deux des ‘rois-messies’, donc également coupables, soit par le succès des armes, soit par l’accomplissement des Ecritures. Vrais ou faux, peu importait pour Pilate, au final !   

  Mais c’est le choix de la date qui causait la plus grosse difficulté. Non certes à Pilate, car lui n’attachait aucune espèce d’importance, que ce fût le jour même de la Pâque, ou de ce qu’ils appelaient ‘la Parascève’. Il était même prêt, si nécessaire, ainsi que ses troupes, à en découdre avec la racaille juive et lui infliger une leçon qui la ferait tenir tranquille pour longtemps. Là, c’était donc la négociation directe entre Caïphe et Jésus représenté par Judas qui faisait traîner les choses. Les ‘synoptiques’ évitent de faire entendre la réalité de ce rôle de négociateur du 12ème Apôtre : ils parlent de Satan qui lui aurait inspiré la pensée de la ‘livraison’ de Jésus. Cet acte d’apparente malfaisance, qui pourtant provient de la nécessité d’accomplir l’Ecriture, ne saurait faire de Dieu « l’auteur du mal qui est dans le monde » (cf. X. L.-D., Satan, qui ajoute : « (…) la personnification satanique permet d’apprécier le combat dans lequel se trouve engagée la liberté de l’homme face à Dieu qui l’appelle »).

   L’exemple du Livre de Job permet de comprendre, par-dessus le marché, que la ‘responsabilité’ de Dieu est engagée dans la mesure où le ‘Tout-puissant’ n’a pas voulu (ou su) profiter d’une créature libre qui aurait en même temps été programmée pour ne faire que le bien. Avec le principe de l’évolution, Dieu a donc laissé la nature produire ce qu’elle était capable de produire, tantôt des humains en majorité de bonne disposition, tantôt des êtres ‘ratés’ – non pas du point de vue physique-physiologique, bien au contraire ! mais moralement disposés à l’envie, donc à nuire à leurs prochains.

  Dans sa jeunesse, tandis qu’il écrivait ‘‘l’évangile spirituel’’ – ainsi est souvent appelé de nos jours le texte de l’Evangile selon Jean -, il n’est pas impossible que le jeune homme, littéralement envahi de la Lumière divine, se soit parfois laissé envahir aussi de la sainte colère qu’un Moïse avait connue lui-même et que, par ambition, il ait dissimulé le fait qu’à l’instar de l’auteur de la Torah, il s’adonnait à la jubilation de l’écriture. N’oublions pas que ses discours étaient alors de pure polémique imaginaire, clamés en son for intérieur, mais… par écrit ! Romancés, en quelque sorte. Noircis à l’extrême. Adressés à ces Juifs, principalement les Pharisiens, en qui il devait avant tout considérer des adversaires acharnés à sa perte et que d’emblée il avait  récusés, alors que, d’entrée, ils se disaient prêts, par la bouche de leur chef, Nicodème, alias Gamaliel, à lui apporter leur aide (cf. Jn 3,1-2.9-10), – à condition, bien sûr, que ces paroles de salutation soient traduites, dans nos Bibles, correctement, et non trafiquées ! Il y a déjà longtemps que j’ai identifié cet inconnu de l’histoire juive, dont le pseudonyme signifiait « Peuple vainqueur » (Niko-dèmos),au grand Gamaliel Ier, lui qui avait jadis, vingt ans plus tôt, été ébloui par la géniale précocité du gamin (cf. Lc 2,46s).  

 Lorsque, au plus fort de la polémique anti-pharisienne selon Jn 8, Jésus interpelle soudain ces prétendus opposants, et soi-disant homicides, et leur pose à brûle-pourpoint la question : « Qui de vous me convainc d’un péché / d’une faute ? »,oui, ici, sur-le-champ, car le verbe est bien au présent, et non au futur, comme font semblant de le croire la plupart des traducteurs…, Jésus sait bien, dans sa pensée la plus secrète, que nul n’en a la capacité. Parce qu’à ce moment précis de la confrontation virtuelle, ‘sur le papier’, mais plus vraie que la réalité qui viendra plus tard, il fait déjà l’offrande de sa personne, l’oblation de jalousie que son Père exige, dès lors, de son Fils.

  Celle peut-être que le Grand-Prêtre a tenté d’expliquer à Pilate (d’après Mt 27,18 et Mc 15,10), mais que celui-ci comprendra de travers. Comme la plupart de ses concitoyens latins, qui n’ont guère que le mot ‘invidia’, il ne distinguait pas la subtilité du mot ‘jalousie’, telle qu’elle transparaît à travers Nb 5,11-31 – et telle que l’expose X. L.-D., jalousie.

  Revenons aux pourparlers qui ne pouvaient plus s’éterniser, car la fête se  rapprochait et, pour Jésus (et Judas), la nécessité d’une solution rapide. Mc 14,1-2 résume la situation en ces termes (moins lapidairement Mt 26,1-5) :

 C’était la Pâque et les Azymes dans deux jours, et les grands prêtres et les scribes cherchaient comment l’arrêter par ruse et le tuer. Car ils disaient : « Pas pendant la fête, sinon il pourrait y avoir un tumulte du peuple. » (Osty).

  Voilà ce que craignaient les grands-prêtres, c.-à-d. les ministres, mais ni Hanne ni Caïphe qui connaissaient, seuls, le fond du problème et  continuaient la négociation avec le principal intéressé, via son messager et négociateur spécial.

  Des demi-aveux de cette situation se perçoivent dès IV, ainsi Jn 12,42a : Pareillement, cependant, même parmi les dirigeants, beaucoup s’étaient mis à croire en Lui… Il est vrai que le jeune inspiré cherche là, avant tout, à lancer une dernière pique virulente contre les Pharisiens, qu’il prévoyait s’opposer plus tard à l’essor de la foi en Christ (ibidem, v.42b). Dans le cadre de la dernière semaine de sa liberté, Jésus, parlant à mi-voix à son homme de confiance, faisait d’avance un aveu analogue, cf. Jn 13,27b : «Ce que tu fais, fais le plus vite ! »  L’ordre clair et net à lui donné – toujours selon les prévisions – d’aller trouver, en pleine nuit, le Grand-Prêtre en charge ! Pourquoi ? Jusqu’à ce moment, Jésus vivait dans la  certitude que sa mort en croix serait scellée le jour de la Parascève, qui est la « veille du sabbat ou de la Pâque, au cours de laquelle on devait tout préparer pour la fête » (X. L.-D., Préparation). Depuis que Jean, son Annonciateur, avait / aurait prononcé, devant les deux futurs disciples, la parole de l’agneau immolé ‘‘qui enlève le péché du monde’’, et qu’il était, lui, le Fils, l’Elu de Dieu, la vision de cet emblème glorieux ne le quittait plus. Convaincu aussi, d’ailleurs, que ce jour-là, où tout un chacun était occupé par les préparatifs domestiques dans sa propre famille, serait considéré comme moins périlleux, tout compte fait, pour l’ordre public, donc plus aisément ‘octroyable’ par l’autorité religieuse. Or c’est l’inverse qui s’est produit. Après avoir longtemps résisté, en accord apparent avec ses collègues du Sanhédrin qui ne voulaient du tout entendre parler d’un crucifiement en (pleine) fête (cf. Mt 26,5), donc ni à Pâque, ni la veille, Caïphe fit volte-face lorsqu’il se fut résigné à offrir à Pilate l’improbable cadeau de pouvoir jouer au directeur de la pièce de théâtre dont il lui fournirait les principaux éléments. Il lui expliquerait tout le parti qu’il pourrait tirer de l’exigence de Jésus. Notamment l’insulte infligée au Peuple entier du seul fait que son représentant, le roi-messie, subirait, entre autres avanies, la mascarade que la cohorte organiserait avec ‘autorisation spéciale’ du chef. On peut en effet le supposer car la troupe formée surtout d’auxiliaires étrangers aurait sans doute été bien incapable de formuler l’acclamation telle qu’elle se lit d’une part en I et II (Mt 27,29 ; Mc 15,18) mais aussi déjà en IV (cf. Jn 19,3) – ici de façon plus scolaire que là où il s’agissait d’atteindre la perfection d’une totale concision… et sonorité ! Comparer en effet : Chaîre o basileus tôn Ioudaiôn, à : caire, basileu twn Ioudaiwn qui économise un mot (l’article o = ‘le’ et le sigma final du nom basileus), suppression normale au vocatif, ce qui avait l’avantage de changer l’intonation par allongement de la diphtongue eu en un –eû  sans fin ; idem pour l’oméga final de Ioudaiôn. Il faut essayer d’entendre cette ‘musique’ clamée par une centaine de gorges barbares… (Mais toutes les foules se valent dans ces moments-là (!?) ; cf. Jn 19,15a, avec double, voire triple ambiguïté : répétition de aron : «élève, élève » ou : « enlève enlève », ou, par homophonie : « Aaron… Aaron… » ! Oui, le frère de Moïse et premier Grand-Prêtre !!!

  Point culminant de ce jeu cruel, l’acclamation se retrouvera ensuite, en partie, dans la formule du titulus, l’inscription du motif (de la condamnation) qui sera fixée, sur ordre exprès, au-dessus de la tête du crucifié. Remarquons à ce propos que si les trois évangiles cités à l’instant parlent en termes identiques (avec la variation quasi imperceptible que nous venons de noter entre I-II et IV), l’écart va être assez impressionnant entre la concision des trois synoptiques et la prolixité imaginative d’un jeune prodige…

  A côté des quatre mots de Mc 15,26 :

O  BASILEUS  TWN  IOUDIWN , – des cinq de Lc 23,38, des sept de Mt 27,37 -, on a affaire, en Jn 19,19-20, à trois fois le même intitulé de sept mots, l’un en araméen, l’autre en latin, le troisième évidemment en grec : celui-ci est seul rapporté dans le texte de l’évangile mais, chose très remarquable et très exceptionnelle, il y figure en caractères tous majuscules qui méritent d’être transcrits ici-même :

    IHSOUS  O  NAZWRAIOS      O  BASILEUS  TWN  IOUDIWN

C’est-à-dire :

JESUS LE NAZÔREEN              LE ROI DES JUIFS

Donc sept mots, en principe trois fois répétés (le latin, n’ayant pas d’articles, ne compte de ce fait que quatre mots). L’esprit utopique du jeune adolescent, déjà surnommé alors le Nazir de Nazareth, n’avait pas prévu que pour loger tant de lettres majuscules et de mots sur une seule pancarte, il fallait la choisir de dimensions adaptées (hauteur et largeur !) et la confectionner probablement dès la veille – si toutefois les caractères devaient y êtres gravés ou sculptés, au lieu d’être simplement badigeonnés.   

  Il reste à dire un dernier mot, dans ce contexte, de l’évangile marial.

 On a vu que celui-ci ne cite pas nommément la fameuse mascarade des soldats romains. Elle devait constituer l’apanage, en même temps qu’elle serait le triomphe absolu, de l’antisémite Pilate…

 Lc 23,11 n’attribue donc qu’un semblant de mascarade à Hérode et aux hommes de son escorte, celle-ci forcément réduite en nombre eu égard à Pilate, dont on était en principe l’hôte, puisqu’on se trouvait sur son territoire. Il est dit qu’en plus de traitements méprisants, de moqueries, Hérode renvoya Jésus à Pilate après l’avoir enveloppé d’une couverture  blanche, donc brillante. Ne pas oublier que le rusé Renard concoctait ainsi  l’approche d’une réconciliation avec son ennemi de toujours… et ce, peut-être, tout en ménageant un avenir angélique… Sait-on jamais !

  Jésus quant à lui, il aura fini par admettre que mourir le jour-même de la Pâque serait un symbole encore plus fort pour la part de l’humanité qui aspirait à une rédemption. Et c’est ainsi qu’on est passé, du jour des Préparatifs, à la Fête proprement dite. Avec, du reste, l’avantage pour Lui, notre divin Sauveur, de pouvoir encore manger le repas pascal le soir, le Seder, entouré de ses Douze Apôtres – et certes aussi de sa chère Génitrice. Et de leur faire ses dernières recommandations. En plus du don de sa personne sous l’aspect d’un sacrement « d’action de grâce », Eu-charistie, l’évangile marial aurait pour tâche de résumer d’autres paroles que lui-même ne pouvait plus écrire : il faudrait y insister sur le bien-fondé d’un rituel de la mémoire-en-moi, rattaché à deux thèmes couplés l’un à l’autre, celui de la Nouvelle Alliance-en mon sang versé pour vous, annoncé par Jérémie (Jr 31,31.33b ; cf. Lc 22,20), et celui de la Fin des temps, – à ne pas confondre avec ‘la fin du monde’, comme on l’entend dire parfois ces jours-ci -, mais qui doit cependant être reliée au concept vague, remontant au XIXe s., de l’eschatologie.

  Il n’est pas étonnant dans ces conditions que Marie seule ait prêté à son fils, mais plus tard, au moment de l’écriture de sa version des faits, cette belle formule, sous forme d’un hellénisme témoignant de son intime prédilection pour le grec, cf. Lc 22,15 : Epiqumiai  epequmhsa…

« De désir j’ai désiré…manger cette Pâque avec vous,

avant de souffrir. »

  Quant à sa présentation du soi-disant procès devant Pilate, elle aura aussi  compris la nécessité de fournir à l’accusation juive –  informulée selon I et II – des arguments autres, d’ordre socio-économico-politiques plutôt que religieux, le blasphème n’étant pas pris en considération dans le droit romain. D’où les trois griefs, énumérés en Lc 23,2, à savoir, coup sur coup (traduction d’A. Ch.) : « Celui-là, nous l’avons trouvé à pervertir notre nation ; il l’empêche de donner les taxes à Caesar, se disant lui-même messie-roi. »

  IV, l’évangile ici surtout virtuel, n’a que la question explicitement posée par Pilate aux délégués de Caïphe :

« Quelle accusation portez-vous contre cet homme ? »

Leur réponse fut on ne peut plus évasive ; sauf à laisser entendre qu’il s’agissait d’un malfaiteur. Pilate, qui était déjà informé, eut d’autant moins à investiguer. Naturellement !

  Retournons maintenant au système des deux colonnes de la page 36  (pour  Mc 15,1-4 et Mt 27,1-2.11-14), rendant visible le face-à-face de Jésus et de Pilate.

[ Nos lecteurs auront pu entre-temps mesurer l’importance des deux verbes rendus, l’un par « emporter / transporter », l’autre par « emmener », donc rien que l’idée de déplacement (d’un lieu à l’autre), mais importance par contraste dans un même contexte, à condition d’entériner que c’est toujours le même Jésus qui les emploie, tour à tour, dans le même livre.

  Et, à présent, importance de deux autres verbes, toujours dans le même contexte, dans la même histoire contée dans le même livre par le même auteur ; mais cette fois allant dans le même sens d’un raffinement  logique. De bouleverser, soulever (par un séisme), à persuader (intimement). De la constatation massive du fait de ce que voulait réellement le Seigneur Messie-Christ, à l’intime persuasion que les Deux Fils… se rejoignaient en une profonde communion de pensée.  

    Ayons pourtant encore une attention compatissante pour l’homme libre qu’il a voulu être pendant ses deux dernières années où ses pieds et ses jambes l’ont porté un peu partout sur le dur sol de la terre d’Israël, alors que, maintenant, mains-et-pieds tenus ! il est mené, emporté indignement, rien de plus qu’une chose vulgaire, là où sûrement il ne voudrait pas de lui-même aller ! Lui qui, peu de jours auparavant, faisait son entrée triomphale dans la Ville éternelle, sur le petit d’une ânesse, le voilà fixé au dos d’une vieille haridelle branlante… Tout était fait pour l’humilier et ainsi provoquer que jaillisse en lui et de lui l’image rayonnante du Dieu de Lumière.

  Car telle est le langage du Dieu de la Transcendance : Lumière et Gloire.

  Mais qui veut encore l’entendre, dans ce vieux pays d’incroyants qu’est devenue la France ? ]

  Mc 15,8-15                                                              Mt 27,17-26

8 Et étant montée, la foule s’est mise                                                           

  à demander (pour elle-même),                             17  Eux donc s’étant rassemblés,

  comme il faisait pour eux.                                    le Pilate leur  dit : « Qui voulez-vous 

                                                                               que je vous relâche, Barabbas ou…

                                                                               Jésus, lequel est appelé  Christ ? »

9 Or le Pilate leur répondit : « Voulez-vous

que je vous relâche le roi des Juifs ? »

10 Car il comprenait que les grands-prêtres         18 Car il savait que c’est par envie

  l’avaient livré par envie.                                         qu’ils l’avaient livré.

                                                                                         [19 Action momentanément interrompue                                                                                               par l’intervention de la femme de Pilate.]

11 Or les grands-prêtres ont soulevé la foule,     20 Or les grands-prêtres et les anciens pour qu’il leur relâche plutôt le Barabbas.          ont persuadé aux  foules de demander

                                                                               le Barabbas et de  faire périr le Jésus.

12 Or le Pilate, se ravisant en sens inverse,     21 Or reprenant la parole, le préfet leur

       leur disait : « Que ferai-je donc de celui  que            a dit : « Lequel des deux voulez-vous                                                                                         vous dites le roi des Juifs ? »                                    que je vous relâche ? »  Or ils ont dit :

                                                                            « Le Barabbas ! » 

13 Or eux, en sens inverse, ont crié :                                                                                                   

    «Crucifie-le. »                                                          22 Il leur dit, le Pilate : « Que ferai-je

                                                                                           donc de Jésus, le dit Christ ? »  

                                                                             Ils disent tous : « Qu’il soit crucifié. »

                                                                             23 Or lui, il dit : « Oui, mais quel mal

                                                                           a-t-il fait ? » Or, eux, crièrent à l’excès,

14 Or le Pilate leur disait :                               disant : « Qu’il soit crucifié ! »

« Oui, mais qu’a-t-il fait de mal ? »

Or eux ont crié à l’excès : « Crucifie-le ! »            

                                                                     24 Or, le Pilate, voyant que rien ne sert,

                                                                                   mais qu’il en résulte plutôt du tumulte,

                                                                     ayant reçu de l’eau,

                                                                     il s’est lavé les mains face à la foule,

                                                                     en disant : « Je suis innocent de ce sang.

                                                                     C’est vous qui verrez ! »

                                                                        25 Et, en réponse, tout le Peuple dit :

                                                                      « Son sang sur nous et sur nos enfants ! » 

15 Or le Pilate, voulant faire satisfaction         26 Alors il leur a relâché le Barabbas.

à la foule, leur a relâché le Barabbas ; et       Quant à Jésus, l’ayant flagellé / fait

c’est le Jésus qu’il a livré, l’ayant flagellé      flageller, il l’a livré pour être crucifié.  

/ fait flageller, pour qu’il soit crucifié.   

Ma vision des choses, verset par verset.

– Mc 15,8 : Beaucoup de flou ! L’ensemble réalise un rappel astucieux de la promesse faite deux ans plus tôt d’une application de l’amnistie.

Etant montée… : ‘de la ville basse’ (en gros, tout le secteur des environs de la Piscine de Siloé, en dehors et à l’intérieur des remparts) vers la ville haute où devait se trouver le Prétoire du Préfet, non loin du palais des Grands-Prêtres, Anne et Caïphe ;

pour eux (= pour les prisonniers, les condamnés);

comme il faisait (Pilate, plutôt que ‘elle’, la foule, ce qui ne serait qu’une indication pittoresque du comportement d’une foule bruyante).

– Mt 27,17 n’apporte rien qui compléterait objectivement ce qui vient d’être dit en Mc, mais nous pouvons deviner un Pilate s’avançant, sourire en coin…, car il connaît d’avance, grâce à son ami Caïphe, la suite des événements !

– Mc 15,9 laisse la même impression amusée, mais accentue le ton paterne du sinistre personnage.

– Les deux versets  // (15,10 et 27,18) ont identiquement la même formule : ‘livrer par envie’/‘du fait d’une envie’ ; c’est bien le sentiment bas de l’envie qui doit dominer ici, car il n’avait rien compris aux explications compliquées de Caïphe concernant l’amour  jaloux du Dieu des juifs pour son Peuple…, ou plutôt il s’était étouffé de rire en les écoutant dans la bouche de son ami.  Digne de remarque cependant, le fait que c’est toujours le même verbe livrer qui, depuis le début, reste partout à l’honneur, simplement à des temps différents, sans que nul ne songe à le traduire ici par ‘trahir’, ce qui serait, en effet, totalement absurde.

– Que penser de l’intervention inattendue de l’épouse du chef, d’après Mt 27,19 ? Peut-être a-t-elle été simplement glissée là, éventuellement par Marie, pour corser l’attente ? Mais Jésus a très bien pu le faire lui-même, pour rendre un dernier hommage au rôle des femmes auprès de leurs maris. De cette épouse en particulier, dont il aurait entendu dire du bien ? Le seul motif qu’elle invoque pour justifier l’audace de sa démarche auprès de son mari, alors qu’il siégeait déjà au tribunal, ce furent les tourments d’un rêve qui, sans doute dans le demi-sommeil du matin, la firent  « beaucoup souffrir ». Au point de lui recommander de n’avoir rien à faire « avec ce Juste-là ». Que veut-elle dire par là ? Que Pilate aurait pu déclarer forfait ? Soumettre toute l’affaire à son supérieur hiérarchique, le légat de Syrie ?  Cette possibilité ne devait-elle pas exister, dès lors que le sanhédrin ne disposait plus du droit de prononcer la peine capitale ?  Manifestement, il n’était pas question pour Pilate qu’il s’interdise le divertissement que lui promettait le Grand-Prêtre. On s’y ennuyait  tellement dans cette capitale de la bondieuserie ! Et ses troupes aussi avaient besoin de s’amuser. Promis ! Ce serait le cas un peu plus tard…

– D’évidence c’est, en Mc 15,11, et en Mt 27,20, la complémentarité des deux verbes : ‘soulever (pour que)’ et ‘persuader (que)’, qui est déterminante et doit attirer l’attention. L’un est évocateur d’un choc dû à un séisme, capable de soulever toute une masse de gens et de les faire changer d’avis d’un seul coup ; l’autre au contraire va parachever en douceur, finesse et profondeur ce premier résultat, de manière à rendre désormais inébranlable la résolution, brutalement imposée. On peut dire que le premier se place sous le signe de la masculinité, le second sous celui de la féminité. D’ailleurs ceci est tellement vrai que les Grecs ont fait de ce verbe peiqw  un nom propre, le nom de la divinité Peiqw, Dame Persuasion, en somme. Sous la plume d’exégètes remarquables j’ai tant de fois rencontré la question qu’ils se posaient sans pouvoir y répondre : Comment expliquer que les foules juives aient pu changer de conduite envers Jésus du jour au lendemain ? Eh bien ! La réponse, elle est là : respectivement versets 11 et 20, qui obligent à conclure que les grands prêtres et les anciens, en faisant circuler le mot d’ordre de l’obéissance à Jésus lui-même en vue du Jugement de Dieu, ont obtenu le choc psychique nécessaire à cette totale inversion de l’attitude des foules, d’un instant à l’autre.     

– A partir des vv.12-14 de Mc et 22-23 de Mt, Pilate endosse le rôle avantageux de l’avocat-défenseur de Jésus contre la foule. Voire : le rôle, qui lui va si bien, du moralisateur ! L’hypocrisie est partout palpable. Dans toute cette partie du récit, il est remarquable que le plaidoyer de J.R.-B.XVI ne peut guère s’appuyer que sur IV, cet évangile qui est pour nous définitivement l’œuvre du jeune nazaréen/nazôréen, âgé d’à peine 15 ans au moment de la mise-au-point. Ce qui ne veut pas dire qu’à l’occasion de l’‘édition’ et de la publication finale de ‘Jean’, soit 56 ans après la mort en croix de Jésus (qui a eu lieu en l’an trente de notre ère, et non trente-trois, comme nous l’avons vu supra), il n’y ait pas eu des adaptations lorsqu’elles paraissaient indispensables ou souhaitables. En fin de parcours du prétendu interrogatoire – celui-ci consistant, selon les synoptiques, dans l’unique ‘question’ : « Toi tu es le roi des Juifs ?! » -, c’est bien Pilate qui inflige le premier coup à celui qu’il s’est bien gardé de défendre jusqu’au bout ; puis il laisse le soin à plusieurs bourreaux de continuer l’extrême cruauté et barbarie de la flagellation. Je renvoie à la p.226, où Benoît XVI préfère laisser la responsabilité de l’évocation réaliste à l’exégète-historien allemand, Joseph Blinzler ; quant aux traducteurs français officiels, ils disent que « la chair du délinquant » finissait par « (pendre) en lambeaux sanguinolents » : n’est-ce pas un bel exemple d’oxymore, du moins d’après la définition que donnait encore Paul ROBERT de l’épithète en 1977 ?

  Ce que nous devons relever en revanche, c’est le commentaire de Rudolf Pesch (‘Markusevangelium’ II, p.467) : « Le fait que Simon de Cyrène soit contraint de porter à la place de Jésus le bras de la croix » [= la poutre transversale de la croix] « et que Jésus meure si rapidement est sûrement à relier à la torture de la flagellation, durant laquelle certains délinquants mouraient déjà. »

  Là, notre auteur veut bien pour une fois oublier un instant son évangéliste préféré qui, lui, écrit – avait écrit -, Jn 19,17 : « Et portant lui-même sa croix, il sortit vers le lieu-dit ‘du Crâne’, c’est-à-dire, en hébreu, ‘Golgotha’. Comme s’exprime un peu trivialement le français : ‘Il faudrait savoir !’ ‘Ou-bien… ou-bien’… doit-on se dire au sujet de cette scène appelée en peinture et sculpture ‘le portement de croix’. Ou elle a eu lieu et a inspiré avec raison bien des artistes, et ému la piété de beaucoup de croyantes et de croyants. Ou elle a dû être vite interrompue, au bénéfice d’une autre image en mouvement, banale celle-là, qui montre un paysan venant des champs et, réquisitionné par le centurion de service, se chargeant sans  peine du fardeau ; il le porte, à la place de Jésus, jusqu’à l’endroit désigné ; peut-être y a-t-il eu alors un bref échange de regards disant la compassion et la gratitude. Inoubliables, l’une et l’autre.

  A présent une autre vérité, d’ordre philologique, peut se conforter en nous. Un long frisson a parcouru tout son corps, qu’il voit comme celui d’un intellectuel, d’un poète fragile, tout le contraire de ses frères, bâtis, eux, en vrais charpentiers. Alors, pour se redonner du courage, il fait ce qu’il savait faire le mieux, il invente pour lui-même un verbe grec pouvant signifier « crâner » à partir du nom neutre kranion qui le hante depuis longtemps ! Il murmure : ‘‘Bah, ça ira bien…’’   

  J.R.-B.XVI a eu le tort de ne pas citer la phrase des Synoptiques qui l’aurait obligé à s’interroger sur l’historicité de ‘Jean’ ! Et peut-être à reconnaître l’antériorité naïve, trop radicale, trop préoccupée de vérité théologique, du 4e évangile selon lequel Jésus devait apparaître tout bonnement comme un surhomme divin. Il en va, d’ailleurs, de même de l’évangile marial à partir de Lc 23,28, où la christologie semble aussi avoir pris le dessus sur le souci, pourtant affiché dès le Prologue, Lc 1,3-4, de la vérité historique.

Le tout s’arrête donc, Mc 15,15 et Mt 27,26, sur la décision de la flagellation qui devait, d’après la loi romaine, précéder normalement la crucifixion, afin de réduire la durée de la résistance physique du crucifié. Mais voilà que, selon Mt 27,25s., le préfet  prolonge le plaisir qu’il éprouve, selon notre interprétation, à se moquer du Peuple,  d’une part en lui faisant connaître sa propre innocence (par le geste de se laver les mains) et, de l’autre, en l’obligeant à prononcer des paroles d’auto-malédiction :  

           « Son sang sur nous et sur nos enfants ! »

  Ce qui va donc se passer maintenant, uniquement d’après Mt 27,24-25, loin de n’être qu’une exagération à valeur purement théologique, qu’une « amplification de l’ochlos de Marc », celle-ci, qui plus est, qualifiée de « fatale dans ses conséquences », ce sera l’événement qui, au cours de l’histoire humaine, aura, dans l’Europe convertie au christianisme, l’impact le plus fort de tout le récit de la Passion du Christ. Impact psychologique, bien évidemment voulu par celui qui se sacrifiait dans les conditions les plus horrifiantes possible et appelant, littéralement, à la vengeance antijudaïque – antisémite.

  Pour vous faire admettre cette vérité dirimante – qui veut pénétrer au plus profond de l’homo religiosus pour le placer devant l’impossibilité du mariage d’un Peuple, de toute une communauté humaine avec sa Divinité, le Dieu Unique-Esprit-Trois-Fois-Saint-Très-Grand – ‘Trismégiste’ au sens premier du mot -, mariage pourtant conçu et voulu depuis la fondation du Monde (cf. Ap 17,8) – , je voudrais encore vous dire ici, Cher Saint-Père, deux ou trois aventures spirituelles qui ont contribué à me préparer à ma tâche de futur prophète, même indigne.     

  Voici d’abord, en remontant vers mon passé le plus lointain, un souvenir qui n’a pris pour moi toute sa valeur que beaucoup plus tard, lorsque, lisant les premiers chapitres d’Isaïe, je tombai sur ces lignes (Is 7,3 ; BiJér) :

YHVH dit à Isaïe : « Va donc rejoindre Achaz, toi et ton fils (…), à l’extrémité du canal de la piscine supérieure, sur la route du champ du Foulon, et tu lui diras : (…) »   

  Ce passage de l’Ecriture Sainte, qui annonçait une première invasion de l’armée du royaume-frère du Nord – un an plus tard celle-ci serait suivie d’une autre, beaucoup plus dévastatrice, celle de Sennachérib, –  m’a en effet rappelé que j’avais vécu quelque chose d’analogue à ce que je venais de lire. Un matin de mai 1940, mon père me prend par la main, et sort de la cour, toujours me tenant par la main ; nous allons nous adosser au mur de la villa que nous habitions alors sur la longue descente de la Nationale de Montier-en-Der, juste avant l’entrée dans Wassy. Devant nous, un espace vert que délimitaient des maisons sur la gauche et, sur la droite, formant un coin à angle droit avec la route, légèrement de biais, des hauts murs bruns qui abritaient sans doute une partie des propriétés du château seigneurial sis en face et qui, avec son grand parc, mystérieux pour moi, dominait tout l’environnement sur notre droite. A peu près une heure plus tôt, ma mère avait fait preuve d’une belle autorité que je ne lui connaissais pas, en ayant sermonné d’importance deux fantassins qui, tenant chacun son lebel, se dissimulaient dans l’encoignure : leur faisant remarquer la disproportion des forces en présence (la T.S.F. devait plutôt bien fonctionner) ; elle avait réussi à les persuader de quitter leur poste de guet et, leur promettant nourriture et boisson, les avait fait entrer dans notre cuisine à l’autre bout de la demeure. Peut-être les avait-elle même assurés que, le soir venu, son fils aîné, mon frère Léon né en août 1922, et futur musicien-compositeur, les amènerait derrière la ligne de front, par des chemins forestiers qu’il connaissait pour s’y être exercé à la conduite de sa petite Simca, dégotée je ne sais où. – Les semaines de ‘la drôle de guerre’ avaient dû  laisser du bon temps à plus d’un lycéen débrouillard comme lui – !

  A présent, une colonne d’automitrailleuses – ou peut-être n’y en avait-il qu’une seule suivie d’un corps d’infanterie que ma petite taille ne me permettait pas de voir ?…  Elle avance lentement, prête à pénétrer dans la petite ville. Mon père me quitte, fait quelques pas à la rencontre du blindé-léger de tête et salue l’officier assis à côté du pilote, sous le canon de la mitrailleuse lourde. Il lui tend son carnet militaire de 14-18 : ,,Artillerieleutenant Paul Schlienger. Eiszerneskreutz’’. Etonnement de l’homme, qui s’est aussitôt redressé pour saluer mon père ; puis, descendu du ‘command-car’, voulait absolument rentrer dans la maison dont le hall d’entrée était encore orné des fusils des deux gaillards en train de se restaurer… A grand-peine mon père réussit à l’en dissuader et à l’entraîner chez le maire, Monsieur de Chanlaire (orthographe non garantie). Plus tard, je comprendrai, au cours de soirées familiales, le but de cet accueil inattendu – qui n’était pas de recevoir « à bras ouverts », comme d’aucuns le diront après la Libération, mais qui avait visé à prévenir des représailles qu’un éventuel coup d’éclat aussi héroïque que vain de nos deux ‘trouffions’ trop bien intentionnés aurait à coup sûr déclenchées.   

  Autre souvenir. J’ai neuf ans. L’un de mes bons camarades, de deux ans mon aîné, Gilbert, m’invite à rejoindre le lendemain matin, très tôt, le groupe des grands servants de messe, pour participer, à l’occasion du Samedi-Saint, à une cérémonie spéciale qu’il appelle, en alsacien : ‘de Yout verbrenne’. Ma mère m’a permis, sans enthousiasme, de me rendre, vers les cinq heures, place de l’église. Des ombres s’y agitaient déjà, à mon arrivée. Seule présence adulte quelque peu rassurante pour moi, celle du sacristain, Monsieur H. Entre le jardin du presbytère et le foyer Saint-Joseph, et face à la ‘Grotte de Lourdes’, commençait à s’amonceler un tas de bois (et autres combustibles réservés à cette fin ?) Chacun de ces grands servants y contribuait de son mieux, surtout, me semblait-il, aux dépens d’une vieille grange délabrée de l’environ immédiat. Personne ne me disait rien. Peu à peu je devinais cependant s’ériger, sur ce bûcher de bric et de broc, une sorte d’épouvantail : à quoi destiné, sinon à quelque autodafé ? – Un terme qu’en petit Alsacien passé trop vite du français à l’allemand et vice-versa, j’ignorais, bien sûr, totalement à cette époque lointaine. Les limbes de ma tête embrumée ne pressentaient même pas encore ce que cela pouvait laisser supposer de haine atavique.

Plus tard, au cours de mes études, grâce à la ‘Revue des sciences sociales’ de Freddy Raphaël, j’ai appris que cette ‘coutume païenne’ du Samedi-Saint ne se pratiquait pas seulement dans d’autres paroisses d’Alsace, mais aussi dans diverses régions de la France profonde, voire d’Europe, notamment centrale. Souvent, me dit-on des années après, le nom de ‘juif’ était remplacé par celui de ‘Yudas’.

  ‘‘ Tantum religio potuit suadere malorum…’’

  Mais voilà que j’ai quatorze ans, l’âge où l’on faisait, à l’époque, sa ‘Communion solennelle’, – certes déjà rebaptisée ‘Rénovation des Vœux de Baptême’. A l’occasion de cette fête religieuse qui favorisait rencontres familiales et repas arrosés de bons vins d’Alsace, une sympathique, jeune et belle Colmarienne, amie de mon frère aîné, m’offrit « La Sainte Bible  par A. Crampon ». L’exemplaire était dédicacé d’une claire écriture : « Le message de Dieu à toutes les heures de ta vie… ». Elle-même était d’une bonne famille catholique, qui avait ‘donné à l’Eglise’… un prêtre, nommé, à l’époque, curé d’une paroisse florissante du Haut-Rhin ; et un autre de ses frères, plus jeune qu’elle, rescapé de Tambov, entrera dans les Ordres, quelques années après. Or c’est d’elle, la belle et certainement pieuse jeune femme, que je surpris, un jour, cette parole, dite à voix étouffée : « Dommage qu’il (le Führer) n’ait pas pu aller jusqu’au bout » (ss.-entendu : de son entreprise d’extermination des juifs d’Europe).  Bien entendu, elle ne savait pas ce qu’elle disait. Dieu ait son âme.

  A partir de ces quelques expériences saisies sur le vif, et vécues parmi d’autres, je me vois aujourd’hui en devoir de protester contre le gnangnan d’interprétations qui réduisent la Parole divine à la médiocrité de nos pauvres media. Quand un organe de presse, dont on nous assure qu’il représente la voix du Vatican en France, prétend expliquer à ses lecteurs ce qu’est ‘le prophétisme aujourd’hui’, on aboutit sous la plume de prélats à du ‘Zuckerwasser’. A de la bibine… Ce que ma prophétie à moi ne saurait être.

  Elle paraîtra forcément excessive. Mais elle n’en sera pas moins la vérité entière. Qui devra éclater à la face du monde. En vertu de quoi, je vous demande, Saint-Père, d’user de vos Droits régaliens de Souverain Pontife et de faire publier cette Lettre Ouverte, à vous-même adressée, de manière qu’elle parvienne jusqu’aux confins de la Terre.

  Je vous rappelle que si vous cherchiez à vous dérober à ce devoir qui vous est personnellement enjoint, vous commettriez le péché irrémissible, la faute contre l’Esprit Saint, qui ne vous serait jamais pardonnée, selon les propres paroles de Jésus, ni ici-bas, ni là-haut dans les Cieux, parce que vous vous opposeriez à Sa Volonté de faire évoluer l’humanité, en la faisant entrer dans l’ère post-eschatologique.

(Cf. Mt 12,31s ; Mc 3,28s.)

N’oubliez pas que « Jésus (n’a pas supprimé) l’attente. » Ni, qu’il « n’a pas identifié l’Eglise (qu’il fondait) avec le royaume de Dieu. » Ni, surtout, que « l’Eglise n’est qu’un moment provisoire dans l’avènement du Règne de Dieu. »

(Cf. X. L.-D., Opus cité, ‘Introduction’, XII.2.B. ; p.81.)    

Je reviens encore en arrière, ne pouvant accepter, au final, la naïveté de l’espèce d’absolution que J.R.-B.XVI donne à Pilate ; cf. toute la conclusion de ses « considérations sur la personne » du procurateur envoyé de Rome par un antisémite alors tout-à-fait notoire, Séjan, et ce, sans jamais se demander si le représentant de la puissance occupante obéissait vraiment à une conscience morale. Sans jamais s’interroger non plus sur la fiabilité d’un évangile beaucoup plus théologien que factuel, rédigé, selon l’exégèse historico-critique elle-même, près de soixante-dix ans après la mort en croix du Christ, alors que Philon d’Alexandrie, philosophe déjà de renom à l’époque de Jésus, donc réellement son contemporain, a pu suivre de près, dans le temps et dans l’espace, les méfaits et crimes qu’il imputait à Pilate. Le légat de Syrie, Vitellius, futur empereur, en a, en tout cas, jugé autrement, lui qui a fini par limoger son subordonné en 36 (…), et ce : pour « (avoir) sévi injustement contre les Samaritains » (X. L.-D., Samaritains).

  De façon plus générale, je m’étonne de certaines déclarations qui ne me paraissent pas fondées, surtout celles faisant état de renseignements dont le préfet aurait disposé…, mais sans que jamais notre auteur en cite la moindre source. Certes, le contraire serait impensable. Car on ne gouverne pas par la force, même tempérée par le Droit, sans disposer d’un service d’espionnage à sa solde. Pourtant, quel aplomb dans des affirmations péremptoires, telles que les suivantes, toujours fondées sur la fallacieuse hypothèse du « procès lui-même », p.217-218 :

 « Il est dit clairement en Jean 18,34s que, selon Pilate, à partir des informations qu’il possédait, il n’y avait rien contre Jésus. L’autorité romaine n’avait reçu aucune information sur quoi que ce soit qui aurait pu de quelque façon menacer la paix légale. »

  Déjà quelques lignes précédentes, notre auteur avait écrit ceci, qui m’apparaît comme un blanc-seing accordé d’avance à tous les chrétiens, ou soi-disant tels, voire même à des inquisiteurs ecclésiastiques qui se sont comportés, au cours de l’histoire et en se fondant sur leur idéologie théologique officielle, en autocrates assoiffés de pouvoir ; – un aspect des choses qu’un chef religieux, catholique en particulier, devrait toujours, pour sa part, se rappeler et confesser :  

 « L’accusation selon laquelle Jésus s’était / se serait déclaré roi des Juifs était grave. » [Ambivalence grammaticale (s’était/se serait) que permet la langue allemande, mais le français doit opter entre les deux modes.] « (…) Pilate savait que Jésus n’avait pas suscité un mouvement révolutionnaire. D’après tout ce qu’il avait entendu dire, Jésus devait lui être apparu comme un exalté religieux qui, peut-être, violait des prescriptions judaïques concernant le droit et la foi, mais cela ne l’intéressait pas. C’était aux Juifs eux-mêmes qu’il revenait de juger de cela. Au regard des règlements romains concernant la juridiction et le pouvoir, qui entraient dans ses compétences, il n’y avait rien de sérieux contre Jésus. »

  Un raisonnement plus proche, me semble-t-il, du respect actuel, du moins en Europe, des droits de l’homme que d’une politique vraiment machiavélique qui devait être celle d’un Pilate ne pouvant pas ne pas se  préoccuper des répercussions potentielles d’une prédication de la… ‘libération’. N’est-ce pas Joseph Ratzinger-Benoît XVI qui a souligné dès le tome I de son livre p. 67-68

la portée « performative » du substantif évangile, « bonne nouvelle », terme réservé en propriété exclusive à la puissance impériale ?

 Pour rappel, ceci :

 « L’idée sous-jacente était que ce qui émane de l’empereur est un message salvifique, non pas une simple nouvelle, mais une transformation du monde allant dans le sens du bien. »

  S’il en était ainsi, le procurateur d’une nation aussi fière et jalouse de ses prérogatives, fussent-elles religieuses, ne devait-il pas redouter, plus que tout, la force contagieuse d’un Messie, Christ juif ‘extraverti’, qui revendiquait pour lui-même, c’est-à-dire pour le règne de son Dieu, LA vérité comme un monopole absolu ? Avec tout ce que cette situation privilégiée pouvait entraîner d’intolérance, de fanatisme vis-à-vis d’autres nations et d’autrescroyances ?

  On comprend mieux, dès lors, que Jésus ait pu dire :

 « Non ! Ne pensez pas que je suis venu pour poser une paix sur la terre, mais pour y jeter une épée !… Car oui ! Je suis venu séparer un homme contre son père, une fille contre sa mère, une belle-fille contre sa belle-mère (…) » (Mt 10,34s ; Lc 12,51-53)

  Jésus était convaincu qu’avec sa venue allait s’ouvrir une ère nouvelle, devait commencer l’ère de la fin des temps, l’ère eschatologique, et c’est bien

ce qui s’est passé au cours de ces deux fois mille ans. Tantôt triomphant par la grandeur et la beauté des œuvres de la foi, tantôt par l’horreur des guerres et, in fine, par l’abomination de la désolation !Devant laquelle notre auteur se voile la face. Qu’il ne nomme jamais par son nom, La Shoa, nulle part dans le triptyque de son livre. A quoi il ne fait qu’une allusion furtive, sans qu’on soit vraiment sûr que c’est bien à elle qu’il songeait quand il évoque «une amplification de l’ochlos de Marc, fatale dans ses conséquences en Matthieu (27,25), qui parle, lui, de ‘‘tout le peuple’’, lui attribuant la demande de la crucifixion. » [  

  Combien affligeantes ici les vieilles explications pseudo-scientifiques ! Dont J.R.-B.XVI se fait l’écho, hélas, y étant tenu par la loi d’airain de l’Eglise !    

  Il faut les rappeler sous sa plume même (op. cité, tome 2, p. 214) :

 « Une amplification de l’ochlos marcien figure, fatale dans ses conséquences, en Mt 27,25, qui parle, lui, de ‘‘tout le peuple’’, lui attribuant dès lors, en échange, l’appel  au crucifiement de Jésus. » [Telle est la traduction littérale de la phrase allemande, mais que l’éditeur de langue française (travaillant peut-être d’après l’italien ?) falsifie ainsi : « On trouve une amplification de l’ochlos de Marc, fatal (sic !) dans ses conséquences, en Matthieu (27,25)… » Pour : « Eine in ihren Folgen verhängnisvolle Ausweitung des markinischen Ochlos findet sich bei Matthäus (…), der nun stattdessen vom ‘‘ganzen Volk’’ spricht und ihm den Ruf nach der Kreuzigung zuschreibt. » Pour être ici tout à fait juste, il faudrait même ajouter à cette dernière formule, voulue ambivalente, ,,den Ruf nach’’ der Kreuzigung », une suite ainsi formulée : ‘lui attribuant désormais, en échange, l’appel au crucifiement de Jésus, voire au renom / à la réputation de cet appel ! » ]

« Ce faisant, Matthieu n’exprime sûrement pas un fait historique. Comment le peuple tout entier aurait-il pu être présent, à ce moment-là, et appeler à la mise à mort de Jésus ? La réalité historique apparaît d’une manière certainement correcte en Jean et en Marc. Le vrai groupe des accusateurs est celui des cercles existant dans le Temple et, dans le contexte de l’amnistie pascale, la ‘masse’ des partisans de Barabbas se joint à eux. »

  Non ! Jésus ne pouvait, dans ce contexte de sa Passion, en aucun cas se permettre une ‘exagération oratoire’ – ce qui est la bonne définition du terme ‘amplification’. Un euphémisme mis, en fait, pour le mot ‘mensonge’, ni plus ni moins, dont on accuse par là-même le disciple ‘Saint Matthieu’. Ah ! combien commode l’invention des quatre ‘évangélistes’ ! Là résidait déjà la première contrevérité monumentale ! ‘‘A l’Evangile de ‘Jean’ et à celui de ‘Marc’, ce qu’on ôte du ‘Saint-Matthieu’, le label d’historicité’’ ! Car la vérité historique, c’est, ce doit être l’ordalie voulue par Jésus, le fait brut du Jugement de Dieu qui lui a permis d’entrer dans sa gloire et qui, espérons-le, va mettre tout le monde d’accord.

  Encore une fois, je pose ma question : l’horreur subliminale de la shoah a-t-elle traversé, en cet instant précis, l’espace d’une seconde, l’esprit du Pape allemand ?

  Mais, voyons encore la suite immédiate (ibidem, p.214-5) :        

 « A cet égard, on peut sans doute donner  raison à Joachim Gnilka, pour qui Matthieu – dépassant les faits historiques – a voulu formuler une étiologie théologique, qui lui permettait de s’expliquer le terrible destin d’Israël dans la guerre judéo-romaine, dans laquelle le pays, la ville et le Temple furent enlevés au peuple (…). Dans ce contexte, Matthieu pense peut-être aux paroles de Jésus quand il prédit la fin du Temple : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés (…). Voici que votre Maison va vous être laissée déserte (…) » (Mt 23,37s.)

  La vérité, ce supplément de vérité que nous devons rechercher jusque dans ses derniers retranchements, ne serait-ce pas le fait que de tout temps la religion avait besoin tour-à-tour de la Malédiction et de la Bénédiction comme de ses deux mamelles nourricières ? C’est bien ce que Marie a compris dans son évangile qui prête à son fils et des paroles de bénédiction, et des paroles de malédiction. Quatre fois dans chaque cas (Cf. Lc 6,20-23.24-26). Ce faisant, elle plaçait aussi son évangile sous le double signe de l’histoire à la fois profane et sacrée, se rappelant plusieurs textes de la Torah où sont mentionnés ces deux moyens de maintenir dans l’obéissance les peuples de la terre, et, en premier, le Peuple élu. Il faut renvoyer à la lecture des textes qui font de la ville de Sichem comme un passage obligé entre les deux monts, dont l’un est dédié, depuis Moïse et Josué, à la bénédiction – c’est le Garizim – et l’autre, à la malédiction – c’est l’Ebal -. [Voici ces principaux textes que j’invite à revisiter en vue d’une approche de la révélation de la religion monothéiste à partir de sa Terre prédestinée : cf. Jos 8,30-34 ; 24,1.19s.25-27 ; Dt 11,26ss.]  Les transgressions, les péchés qui se produiront, malgré tout, au long de l’histoire humaine, serviront à justifier les alternances ou phases de victoires et de défaites, de bonheur et de malheur de l’ensemble du peuple de Dieu…    

Face à la scène ‘matthéenne’ de l’auto-malédiction du Peuple juif – ce qui a  été l’interprétation universelle réalisée spontanément par le Peuple païen se faisant chrétien -, Benoît XVI met en évidence et fait valoir une autre interprétation, opposée à la première ; et aujourd’hui… il a raison de le faire ! Qu’on en juge : Il y a d’abord, rappelle-t-il, ce qu’il a déjà relevé dans son analyse du discours eschatologique de Jésus, « une analogie profonde entre le message du prophète Jérémie et celui de Jésus. » (Cf. Tome II, ch. 2, pp.41-69, et ses trois sous-sections : « 1. La fin du Temple ; 2. Le temps des païens ; 3. Prophétie et apocalypse dans le discours eschatologique. »)

 Voici, p.215, le rappel de cette analogie profonde :

 « Jérémie annonce – s’opposant à l’aveuglement des cercles dominants d’alors – la destruction du Temple et l’exil d’Israël. Mais il parle aussi d’une ‘nouvelle Alliance’ : le dernier mot n’est pas le châtiment ; celui-ci est au service de la guérison. De façon  

analogue, Jésus annonce la ‘maison laissée déserte’ et donne déjà à l’avance la Nouvelle Alliance ‘en son sang’ : en dernière analyse, il s’agit de guérison et non pas de destruction ou de répudiation. »                                             

  Assurément. Et voici, tout aussi rassurante, la démonstration qui suit :

 « Si, selon Matthieu, ‘tout le Peuple’ a dit » [et non ‘avait dit’ car ici, s’il est vrai qu’il s’agit encore en allemand d’un conditionnel de style semi-indirect (à la manière du subjonctif latin répété par attraction modale), l’indicatif des verbes de la principale : ‘doit’, ‘parle’, ‘n’exige’ etc. interdit toute idée d’irréalité], oui, si tout le Peuple a dit   :

 ‘‘Que son sang soit sur nous et sur nos enfants !’’ (27,25), « le chrétien doit se souvenir que le sang de Jésus parle un autre langage que celui d’Abel (cf. He 12,24) : il n’exige ni vengeance ni punition, mais il est réconciliation. Il n’est pas versé ‘contre’ quelqu’un, mais c’est le sang répandu pour la multitude, pour tous. ‘‘ Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu… Dieu l’a exposé [Jésus], comme instrument de propitiation par son propre sang’’, dit Paul (Rm 3,23.25). »

  Ici, l’on passe un peu vite, il me semble, de l’affirmation de : ‘pour la multitude’ à celle de la totalité : « pour tous ». Paul n’a-t-il pas ajouté ‘moyennant la foi’, comme prix minimal à payer par chaque pécheur, pour avoir droit à la propitiation par le sang du Christ ? C’est peut-être pour prévenir cette réserve critique que l’auteur fait, à la suite de ce que nous venons de lire, le nouveau rapprochement, fort éclairant, que voici :

 « De même que c’est en fonction de la foi qu’il faut lire de manière complètement neuve l’affirmation de Caïphe sur la nécessité de la mort de Jésus, de même faut-il le faire à propos de la parole de Matthieu sur le sang : lue dans la perspective de la foi, elle signifie que nous tous nous avons besoin de la force purificatrice de l’amour, et cette force, c’est son sang. Ce n’est pas une malédiction, mais une rédemption, un salut. C’est seulement en fonction de la théologie de la dernière Cène et de la Croix,  présente à travers tout le Nouveau Testament, que la parole de Matthieu sur le sang acquiert son sens correct. » (P.215-216)

  Oui, certes, doit-on dire, mais toujours rappeler, quoi qu’il en coûte, et quoi qu’en disent certains des sages d’aujourd’hui, le sens de l’histoire des deux millénaires de l’ère chrétienne conduisait au maléfice de cette malédiction. En sorte qu’aujourd’hui, si nous voulons échapper à ‘la fin du monde’ publiquement annoncée, nous sommes réduits à inverser toutes nos vieilles certitudes, à abandonner le sens pourtant obvie du geste de Pilate se lavant ostensiblement les mains, tout en menaçant :

« C’est vous qui verrez ! Umeis oyesqe ; »

  Oui, nous en sommes à devoir réinterpréter la formule imprécatoire en suprême Bénédiction : « Son sang sur nous et sur nos enfants ! »

  La tentative de Benoît XVI de faire de ce geste et de ces paroles un acte et un souhait totalement positifs mérite de réussir. Eh bien oui, qu’elle réussisse ! Il y va de notre salut sur terre. Oui ! Du salut de la Terre elle-même.

  Mais ma conviction personnelle de Fils de l’homme de la Fin des Temps bibliques, c’est que cette réussite du double salut a besoin de recevoir le renfort, dans les cœurs et les esprits, de l’Ordalie Judéo-Chrétienne. De laquelle je suis convaincu d’avoir perçu et révélé le secret, rien qu’en ayant rapproché les deux verbes successifs, présents dans le même contexte, l’un, de Mc 15,11 et l’autre, de Mt 27,20 : mais toujours du Christ :

 Or les grands-prêtres secouèrent-soulevèrent la foule pour que … 

 Or les Grands-Prêtres et les Anciens persuadèrent les foules pour que… Dans les deux cas, mêmes personnages importants à la manœuvre, avec les Anciens en plus, en I, pour donner plus de poids à la seule parole des Grands-prêtres [cf. X. L.-D., ancien, Ex 3,16 ; 12,21 ; Nb 11,16 (…)]. Dans ce deuxième cas, il est fait mention en outre des foules au pluriel, ce qui va permettre de souligner, de plus en plus, l’unanimité du Peuple, très étonnante en soi, mais que seule la volonté d’obtenir le Jugement de Dieu était en mesure et de justifier et de réaliser.

  La vérité absolument paradoxale du Jugement voulu par Jésus lui-même était la mieux en capacité de préserver son secret fondamental. Comment, en effet, croire que c’est en réclamant, la mort dans l’âme, le crucifiement de son Messie-Christ que la multitude acceptait elle-même de se crucifier et de s’accomplir ainsi en Peuple de Dieu ? Pour comprendre ce mystère, posons-nous la question élémentaire :

 ‘Par rapport à tout ce qu’il a fait de son vivant, guérisons nombreuses, prodiges qu’il s’est attribués, notamment ses Paroles merveilleuses, sa promesse de se relever le Troisième Jour en conformité avec l’Ecriture – cf. Os 6,1-6 ; à rapprocher de la conclusion, Os 14 ! – oui, je fais miennes ces paroles de l’exégète protestant alsacien Edmond Jacob à propos de l’ultime chapitre d’Osée :  

« Les fruits produits désormais par Israël, c’est Ya qui les produit en lui ; c’est bien la vie de la foi, avec une note mystique où le toi et le moi ne sont pas confondus, mais… se répondent parfaitement. » (‘Le dialogue entre Ya et son peuple’). Ainsi que celles-ci, du grand et humble André Feuillet :

 « Le dialogue entre Ya et son peuple est essentiel à l’allégorie… Ces mots d’Osée, par lesquels le moi divin se met en avant comme source unique de tout bien, annoncent déjà l’allégorie johannique de la Vigne, où le moi divin de Jésus est mis en avant comme source unique de toute fécondité surnaturelle… » (A relire Jn 15,5ss !)

 Eh bien ! par rapport à ce signe merveilleux de la Parole éternelle, je demande : ‘‘Qu’est-ce qu’aurait bien pu rapporter de plus à Jésus – et à l’Humanité – le fait d’être relâché par l’ennemi idolâtre ? Non, certes non ! Le Christ n’en avait pas besoin et, surtout, n’en voulait en aucun cas.

 C’est Dieu, après la Pentecôte, dit le Saint-Père Benoît XVI, que Jésus a clairement voulu ‘apporter au monde’ – apport qui a aussi été confirmé, depuis, par votre action en paroles et en actes, Saint-Père, Pape François.   

  Mais concrètement, qu’est-ce que cela veut dire, sinon aussi et entre autres, la formidable histoire des deux millénaires de l’Eglise, chacun de ces deux, à sa façon, eschatologique ? Avec ce que cette terrible aventure allait entraîner de réalisations, positives et négatives entremêlées ?  Bref, il a fallu que la foule criât de plus en plus fort ce qu’elle éprouvait simultanément de plus atroce mais aussi de plus exaltant dans son for intérieur, pour devenir par là-même, par son obéissance acharnée, le Peuple du Dieu unique, Qui était également jaloux, voulait et devait l’être, de l’amour de son peuple unique…

  Peu de temps après la Pentecôte, Simon Pierre et son camarade attitré, le jeune Saint-Jean, ont voulu en priorité renforcer le corps social de l’Eglise primitive. Elle devait, pensaient-ils, amorcer une existence autonome, d’autant plus que déjà Jésus avait orienté ses disciples vers un détachement de ce qu’il appelait le levain des Pharisiens. La venue du Règne de Dieu,tant annoncée par lui, allait, au sens mystique et / ou religieux, prendre la forme du nouveau culte, institué par les paroles de la sainte Cène à la veille de sa Passion. Les grâces divines accordées aux croyants par la médiation du seul Seigneur – la foi en la Résurrection du Fils de Dieu comme condition du pardon -, telle fut la source d’inspiration des deux premiers discours adressés par les Apôtres : l’un en primauté ‘‘aux Hommes Juifs et à vous tous les habitants de Jérusalem’’, l’autre à l’ensemble du Peuple, constitué principalement, à l’occasion des fêtes, d’Hommes Israélites venus de la Diaspora. Le récit des Actes relatant le miracle de la guérison du paralysé de la ‘Belle porte’, miracle obtenu par la force d’une foi communicative du premier de vos prédécesseurs qui avait invoqué le nom de Jésus le Nazôréen (cf. Ac 3,6) – entendez par ce surnom, le plus répandu dans le petit Peuple des Galiléens et des Samaritains, mais aussi de la Judée campagnarde, le ‘Nazir de Nazareth’ -, il traduit exactement, quoi qu’en disent Messieurs les Scribes modernes, la pensée partagée de Pierre et de Jean. A savoir qu’ils devaient appeler le Peuple entier à se repentir et à se convertir dans un même élan du cœur. Eux-mêmes, pas plus que leurs amis et collègues, n’avaient assisté à la scène de la simili-amnistie : n’étaient-ils pas tous tombés / n’avaient-ils pas tous trébuché / ne s’étaient-ils pas tous ‘scandalisés’ [selon les diverses traductions proposées du verbe formé sur le nom grec skandalon dont l’idée de base est celle de « piège qui fait tomber » et… ‘se scandaliser’], en prenant la fuite dans la nuit de l’‘arrestation’, partie par frousse, partie par obéissance subconsciente à la parole du Seigneur, qui commentait en un sens impératif  le futur de Za 13,7 :

« En cette nuit-ci vous trébucherez tous sur moi !… »

(Mt 26,31 ; + II, III, IV)

  Lui-même, Simon Pierre, en était encore à ruminer ses reniements dans la cour de l’Hôtel du Grand-Prêtre ; oui, il lui arrivait encore de se demander s’il n’avait pas alors agi sous influence ! Ce ‘Tu m’auras renié trois fois’ continue de résonner dans sa tête, avec cette maudite histoire de chant du coq en pleine nuit…  Ni lui ni ses dix collègues n’avaient compris ce qui s’était alors passé pour de bon devant le prétoire.

 D’abord, ils ne s’y trouvaient pas ; ensuite, tout comme les Eglises d’aujourd’hui et leurs guides, ils restaient convaincus, au tréfonds d’eux-mêmes, de la culpabilité des chefs juifs, au point de les accuser durement : 

« Que toute la maison d’Israël le sache donc avec assurance :

Le Dieu l’a fait et Seigneur et Christ,

ce même Jésus que vous, vous avez crucifié ! »

Ac 2,36 

C’était à la fois vrai et faux, juste et injuste, mais nécessaire ! pour que s’accrédite la Parole de la Seigneurie divine du Christ ressuscité. De même, cette autre flétrissure, à la fin d’une longue harangue (Ac 3,13-15) :

« (…) Vous, vous avez rejeté le Saint et le Juste

et vous avez réclamé pour vous la grâce d’un meurtrier ! »

  Telle est devenue sa certitude de l’exaucement et de l’exhaussement de Jésus,   d’avoir été élevé à la droite du Père, dans la Lumière céleste de l’Ascension, que le Grand Pêcheur d’hommes qu’il se sentait dès lors appelé à devenir de plus en plus,  en vertu de la promesse qui lui avait été faite un jour sur le territoire de Césarée de Philippe, eut cette inspiration vraiment christique de généreuse ouverture, v.17 :

« Et maintenant, Frères, je sais que c’est par ignorance que vous avez agi,

 tout comme vos chefs. »

  De ces deux moitiés de divine ignorance qu’on va mutuellement se prêter, l’une était appelée à vaincre le monde, tandis que l’autre doit désormais atteindre à son ultime perfection : l’adoration en esprit et vérité, cf. Jn 4,23-24. Donc l’adoration spirituelle vraie du Dieu qui Est, et qui est Esprit Saint, mais qui sait bien qu’Il doit se livrer, se communiquer aux humains de Bonne Volonté grâce à ce pain super-substantiel, ton arton ton épiousion – ton arton ton epiousion – dont Jésus voulait aussi faire une des demandes du Notre-Père, en parallèle avec celle du pain quotidien, – huitième demande donc que Jésus aurait sans doute souhaitée voir venir plus tôt, dans le temps et dans la prière de l’Eglise ; qu’il est donc grand temps à présent de faire advenir. Vous seul, Saint-Père, pouvez obtenir du Ciel cette advenue miraculeuse, qui réalisera le retour – rediturus cum gloria – du Christ parmi les siens. Mais il faudra en passer – ‘condition sine qua non’ que l’Eglise a elle-même érigée comme un barrage ! – oui, il vous faut maintenant en passer par la diffusion ‘œcuménique’ de cette LETTRE OUVERTE à vous-même adressée – destinée aussi à Jérusalem, à ses habitants juifs, aux hommes fervents de toute origine ethnique d’entre les nations qui s’y placent sous l’autorité du Ciel. [Ac 2,5, librement adapté.]  

 Je me permets de joindre à cet envoi un deuxième exemplaire, en vous priant de bien vouloir le remettre, en hommage filial de ma part, à notre Cher Pape émérite, Joseph Ratzinger-Benoît XVI.

    Aux deux chefs conjoints de l’Eglise et à tous les dirigeants des autres Eglises chrétiennes, je veux encore rappeler cet autre enseignement, caché sous le voile d’un symbole insolite des évangiles IV, II et I. En même temps, je tiendrai, au moins en partie, la promesse que j’ai faite  plus haut, dans le corps de ma Lettre Ouverte.

  D’après l’ordre chronologique de leur composition dans lequel je les cite – et d’après leur place inhabituelle dans l’Evangile, leur réunion non-synoptique -, vous devinez qu’il s’agit du récit dénommé ‘L’Onction de/à Béthanie’. Ils ont entre eux à la fois des traits communs et des traits distinctifs. Inutile d’en refaire ici le relevé.

  Ce qui est le plus clairement mis en évidence et qui retient l’attention, c’est le luxe du parfum,  la cherté du flacon d’albâtre et de son contenu : un parfum de nard pur et très couteux, nous dit-on avec insistance. Les deux ‘évangélistes’, le Jésus-Matthieu et le Jésus-Marc, ont-ils voulu rivaliser de superlatifs avec le Jésus-Jean, celui de la juvénile génialité ? Car c’est d’évidence ce

dernier qui avait d’emblée et d’autorité raflé la palme, simplement en disant qu’après que Marie eut oint les pieds de Jésus et qu’elle les eut essuyés avec ses cheveux, la maison fut remplie de ce parfum. (T.O.B. ; les autres traductions disent, plus littéralement : ‘‘La maison fut remplie de l’odeur du parfum’’).

  Ah ! Il fallait imaginer, noter par avance, ce détail parlant aux sens ! Et qui suggérait une chose inattendue dans ce contexte religieux : le symbolisme probable du parfum. D’un parfum de très haute rémanence. Qui ne pouvait que désigner la Religion en tant que telle. Bien des textes de l’Ecriture l’évoquent en effet. Par exemple Gn 8,21, que je cite presque intégralement, parce qu’il évoque en même temps le thème de la malédiction rencontré supra : Yahvé respira l’agréable / l’apaisante odeur [celle du sacrifice offert par Noé à sa sortie de l’Arche] et Il se dit en lui-même :

‘‘Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce que les

desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance (…)’’

  Cf. aussi le verset suivant, étrangement évocateur de ce qui se passe en ce moment, sous nos yeux, et qui semble vouloir contredire la promesse divine que nous venons de lire :

‘‘Tant que durera la terre,

semailles et moissons,

froidure et chaleur,

été et hiver,

jour et nuit

ne cesseront plus.’’

Une génération avant la Passion, des centaines de corps humains avaient déjà été abominablement martyrisés en croix, sans avoir reçu les honneurs d’une sépulture qui ne pouvait être digne que d’un fils de roi-Fils de Dieu, comme celle accordée à Jésus, d’abord par cette Marie de Béthanie lui faisant l’offrande de ce qu’elle avait de plus précieux, puis encore par les saintes femmes et Joseph d’Arimathie / de Rama(thaïm). Et pourtant, sépulture à son tour passagère, d’après ce qu’on devine du délabrement progressif du Tombeau du Christ à Jérusalem et des querelles affligeantes des diverses Confessions chrétiennes à l’entour…

  Ne serait-ce pas le secret des grandes religions, le mystère de la nécessité de leurs remplacements successifs jusqu’à leur commune disparition, à la Fin des Temps, Fin-Finalité que symbolise au mieux la plus capiteuse des fragrances… ? Royauté absolue d’un Dieu-Père céleste, Pur Esprit, qui présuppose peut-être, pour chaque existence humaine prise séparément, de passer, d’abord, par l’épreuve d’un athéisme purificateur.    

    Je vous prie, Très Saint-Père, de bien vouloir agréer l’expression de mes sentiments profondément respectueux.        

In Deo salutari nostro.

POSTFACE

Mon engagement fondé sur ce Livre, œuvre de longue haleine, donc de Foi et d’Espérance.

Car il faut enfin que j’ose sortir de l’anonymat !

  Puisque, sur la place de Paris, apparemment, aucun éditeur passant pour sérieux  ne veut ou ne peut me publier et assurer ainsi la diffusion de ce Livre qui représente, aujourd’hui, selon ma conviction intime,  la Parole de Dieu adressée au monde.

  Livret plutôt que livre, avec environ sa centaine de pages. Soit l’ensemble des quatre Evangiles canoniques, les Matthieu, Marc, Luc et Jean réunis… Quand je pense qu’on trouve les moyens d’éditer des pavés de plus de mille pages (!) et ce à des millions d’exemplaires, sans d’ailleurs jamais se demander combien d’arbres vont être sacrifiés pour parvenir à satisfaire la gloutonnerie d’une telle masse de pâte à papier. Ce qui n’empêchera pas les mêmes de prôner ‘la transition écologique’, voire de se présenter eux-mêmes comme de fervents adeptes de la jeune Suédoise Greta Thunberg. Mais voilà, leur préférence va tout de même, in fine, à la sagesse des philosophes chevronnés que M. Marc Deutsch (Courrier des DNA du 29.09.19) critique nommément, en leur reprochant « la vacuité des arguments avancés » contre elle. Saint Paul, à son époque, ne parlait-il pas déjà, plus carrément, de la vanité, de la folie des Sages auto-proclamés ? Et les Psaumes et Isaïe ne l’avaient-ils pas déjà fait bien avant lui ?

  Pour ma part, j’ai lu avec joie et reconnaissance dans Carrefours d’Alsace de septembre 2019, le « Billet de Mgr Luc Ravel », Archevêque de Strasbourg. En fait, véritable éditorial qu’il a intitulé : « La conversion, clef de la transmission de la foi ». En toute humilité et simplicité je me suis reconnu dans la définition qu’il donne (dernier §) de Jean le Baptiste comme ayant été, « dans la Bible », (Saint Paul, encore lui, évoque l’Evangile de Dieu, ou : Evangile du Christ), « un homme providentiel qui a assumé et résumé la conversion ». Je n’ajoute que ceci à cette  belle parole, pour être sûr qu’elle soit bien claire : l’appel à la conversion – à son propre message ! – c’est Jésus qui le lancera une quinzaine de jours plus tard ; quant à Jean, qui venait du désert, il  devait  se contenter, d’abord, de  lancer son appel à la nation entière d’Israël, de façon à se faire connaître lui-même !  Ce devait donc être plutôt de sa part un appel à un baptême de repentir lancé tout au long du Jourdain, cf. Lc 3,3, qui, étant donné les circonstances socio-politiques de l’époque, pût être reçu par le Peuple unanime, dirigeants et petites gens confondus. Il est possible aussi que son invite à un baptême de pénitence, il l’ait, en premier lieu, proclamée à l’intérieur du Temple de Jérusalem au cours d’une des grandes fêtes de l’année liturgique… En tant que fils d’un ancien prêtre du Temple de Jérusalem, il devait bénéficier d’appuis dans la confrérie. Non ?…

  En tout cas, je ne suis pas l’un de « ces romanciers qui font parler Jésus » (La CROIX du 03.10.19) et que lesdits éditeurs n’hésitent plus guère à imprimer – oui, que l’Eglise même, les Eglises ne semblent plus du tout enclines à vouloir blâmer, – quoi que disent ces virtuoses de la parole écrite et de la fiction plus ou moins romanesque -. Ce ne fut pas non plus le cas du « Jésus de Nazareth » de Jacques Duquesne, il y a plus de 30 ans, peut-être parce que, s’appuyant parfois sur des sommités de l’exégèse juive et surtout chrétienne, il lui arrivait de friser l’hérésie. Mon lot quotidien à moi, depuis un demi-siècle, c’est l’hérésie, mais une hérésie tenue pour blasphématoire uniquement parce que je rétablis cette vérité entière dont il est question en Jn 16,13. Le Dieu Esprit-Saint (grâce aussi au livre de Joseph Ratzinger-Benoît XVI, son « Jésus de Nazareth » en trois tomes) me fait découvrir l’ampleur des falsifications inoculées dans l’Evangile grec de Jésus et de sa mère ; ce qui me désole, c’est qu’Il le fasse avec une infinie lenteur. Ce Seigneur éprouverait-Il Lui-même, ce faisant, un infini regret de voir son chef-d’œuvre des origines malmené tout au long des siècles, principalement du reste pour des raisons de prosélytisme, et finir maintenant par tomber en quenouille ?

 Je ne prétends pas non plus vouloir prolonger mon âge actuel (85 ans) jusqu’à 100 ans, voire au-delà, sous prétexte que les progrès de la science et de la médecine le permettraient. Le nouveau livre de Pascal Bruckner paru chez Grasset, « Une brève éternité. Philosophie de la longévité », est à cet égard très éloquent (cf. p. 34-35). On peut donc me croire si je vous dis, ici, que je ne souhaite qu’une chose : qu’après tant d’années passées à interroger les Livres saints, à relire les Evangiles, à récapituler les principales dérives de leur interprétation d’ensemble imposées très tôt par l’Eglise, les Eglises au nom de l’idéologie visée, la fameuse christologie, – évitements de passages gênants, traductions fautives de verbes, mots grecs, phrases entières et épisodes ambivalents laissés volontairement de côté sous prétexte qu’entre exégètes, spécialistes de haut vol universitaire, l’unanimité ne s’est pas encore faite à leur propos etc. -, le Dieu-Esprit-Saint Qui m’a appelé à cette formidable tâche d’écoute, de cris d’incessante prière et supplications, m’investisse enfin, aux yeux du monde, comme le nouveau précurseur qu’Il S’est choisi de longue date.

 Oui, que je puisse enfin Le désigner par son Nom !… Et, L’ayant vu adoubé par l’assentiment universel, partir moi-même l’âme en paix. Tel sera le plus tôt possible mon décès espéré, mon nouvel exode. Sans la munition convenue des « Saints Sacrements de l’Eglise »…      

 Mais Lui, le nouveau Sauveur, le Christ-Messie de retour, selon sa promesse, sur cette pauvre Terre, lui ne peut plus tarder ! D’où la double nécessité de la parution primordiale de ce Livre, révélateur et de mon identité et du secret de Dieu, suivie de mon effacement personnel, le plus tôt sera le mieux, pour qu’il ait les mains libres, ainsi que les pensées et les décisions totalement indépendantes et responsables, à la tête du Directoire mondial dont il lui appartiendra de choisir les Douze composants, femmes et hommes de toute nation et culture, comme il l’entendra.

   Donc de juger tous les peuples, selon qu’il l’a dit et écrit, cf. Mt 25,32.

APPENDICE

Afin de donner aux jeunes générations une idée des discussions qu’a soulevées, il y a plus de vingt ans, la question de la responsabilité de l’Evangile dans l’impulsion qu’il ne cesse de redonner en Europe au chancre de l’antisémitisme, magré tous les efforts que l’Eglise d’après la Shoa et le Concile Vatican II déploient sur le plan de l’exégèse et de la pastorale pour tenter de l’éradiquer une fois pour toutes, je renvoie, à titre d’exemple, à l’étude que la revue SENS, 1 – 2000, pages 6-14, a consacrée, sous la plume du Père Yves SIMOENS, à “L’Evangile selon JEAN : Nouvelle lecture chrétienne”. Les extraits cités ici proviennent uniquement du § IV (p.12-13). Voici “ce que retient un des producteurs des émissions Corpus Christi sur la chaîne de télévision Arte :

Quand on pense que sur une simple phrase de Jean – il le ‘‘leur’’ livra -, sur un mot, un pronom personnel – leur -, interprété par les Pères de l’Eglise Juifs comme désignant les Juifs, quand on mesure que sur ce mot, sur cette chose minimum, quelques lettres, s’est joué le malheur des Juifs, il y a une perspective vertigineuse. Soudain vous voyez le texte, cette petite trace noire, là, et vous savez que des millions de gens ont souffert, sont morts à cause d’un pronom personnel, c’est incroyable ! Ce qui est spectaculaire, c’est de s’apercevoir que deux, trois, quatre personnes travaillent sur ce mot, l’interprètent différemment ou au contraire ne peuvent pas reculer devant l’évidence”. (Note 2, p.12: “Jérôme Prieur, interviewé par Catherine Humblot, pour Le Monde du dimanche 23-lundi 24 mars 1997 à la veille de la projection des premières émissions ,,Corpus Christi’’, consacrées cette année-là à la mort du Christ.”)

“Le texte de Jean serait le grand responsable de l’antisémitisme chrétien. L’interprétation est possible puisqu’elle circule et ces émissions ne contribuent pas peu à répandre cette opinion. Ce n’est pas la seule interprétation possible, heureusement; ce n’est en tout cas point la mienne. Compte tenu du contexte, la crucifixion est imputée dans ce membre de verset aux responsables païens et juifs en présence : Pilate et les grands prêtres. D’un point de vue historique, la responsabilité se trouve ainsi limitée. Mais du point de vue proprement théologique, la portée du verset est autre. Le sens de la lettre dit plus. Loin de vouloir restreindre la responsabilité à quelques personnages, en favorisant le mécanisme des boucs émissaires, le texte johannique vise un autre enseignement. Il cherche à montrer que le péché est à l’oeuvre en tous dans cet événement unique au monde et dans l’histoire. Déjà la fonction de représentation du paganisme romain et du Judaïsme, exercée par Pilate et les grands prêtres, laisse percevoir une implication du monde entier dans cette mort. Encore faut-il que chaque personne se trouve interpellée. Sinon il y a fort à craindre que cette mort et son effet salutaire ne restent extrinsèques à la conscience de chacun. Ce que suggère l’évangile, c’est que l’humanité de tous les temps se trouve concernée, sous peine de banaliser ou de réduire la portée de l’unique salut en Jésus-Christ. Distinguer ici antijudaïsme et antisémitisme ne suffit pas non plus dans une lecture du Nouveau Testament.

L’antisémitisme naît et renaît quand demeure la tentation d’accabler l’autre d’une responsabilité qui incombe à chacun. Seule une conscience claire de la solidarité de tous dans la faute permet à tous de recvoir le pardon généreusement accordé.

Il est vrai qu’une telle lecture impose de réviser l’interprétation d’autres passages, notamment ceux où apparaît le verbe ‘livrer’. C’est le cas pour la parole de Jésus à Pilate en 19,11 : “Celui qui-me-livra à toi, un plus grand péché, il a”.  (…) ”

[4ème de couverture]

‘‘Faut-il s’étonner

que des traductions erronées

des quatre évangiles canoniques,

longtemps admises,

voire officiellement imposées par l’Eglise,

et, à l’origine, sans doute nécessaires

 pour l’essor du christianisme,

       finissent par produire… des fruits pourris ?’’

Cette Parole-Action du Fils de l’homme de la Fin des Temps

n’est que la paraphrase de Mt 12,33 :

« Ou faites l’arbre bon, et  son fruit (vous le faites) bon ;

H poihsate to dendron kalon kai ton karpon autou kalon,

ou faites l’arbre mauvais, et son fruit (vous le faites) mauvais.

h poihsate to dendron sapron kai ton karpon autou sapron ;

 car c’est au fruit qu’on reconnaît l’arbre. »

ek gar tou karpou to dendron ginwsketai.

Deux mille ans de l’ère chrétienne-eschatologique

 ont produit logiquement et de l’excellent et du pire.

TABLE

Première PARTIE :                         Préparations                                    2 – 11

Deuxième PARTIE :                       La Lettre Ouverte…                 12 – 70

POSTFACE                                                 Mon engagement publique    71 –  73